(inachevé) Regarde & Chavire ✗ primrose.

Regarde & Chavire
Once in a lifetime, the suffering of fools
To find our way home, to break in these bones
Once in a lifetime
Give me a shot at the night

Dehors, c'est glacé, neigeux, venteux. L'hiver a repris ses droits sur le Londres de l'Eté, là où les oiseaux chantent dès l'aurore, accompagnés des rires des habitants, des cris joyeux des enfants. L'hiver a offert son manteau blanc, recouvrant la ville d'une épaisse couche de glace et d'ennui. Pour un homme qui a vécu toute sa vie dans les péninsules mexicaines, là où le soleil rythme la vie et la chaleur, les désirs, l'hiver est le moment le plus désespérant et à la fois, le plus magique. Le paradoxe est tel, que parfois je grommelle contre le froid et m'amuse comme un gamin dans la poudreuse. J'aime le contraste que ça forme avec mon visage, blancheur inégalée contre peau brunie par l'existence au soleil. J'aime le froid qui fait craqueler mes mains, qui engourdi mes lèvres, mais j'abhorre le vent qui me transforme en épouvantail à chaque sortie. Bien que l'homme de paille me corresponde à merveille dans ces lieux où je récure, je frotte, et j'emprisonne la poussière dans un écrin de plastique. Mais ce soir, je ne suis pas l'épouvantail, non. Ni le fou qui vend de l'acide en sachet, de la mort en seringue. Je suis un homme, paré de son plus beau costume, prêt à fondre sous la voix ensorcelante d'une créature, d'une danse mirifique et d'un spectacle grandiose. Je ne suis pas que leur paillasson ou que leur dieu, je suis un Calzada, qui aime la beauté et la suprématie de l'art, danse, peinture et littérature dans une même étreinte. Et ce soir, je tombe amoureux d'une toute autre plume que celles de mes héros.
Elle est colorée, elles sont colorées, froufroutant à mesure que les minutes passent, déversant leur magie sur chaque spectateur qui reste béat devant tant de sublime. Le cabaret vent ses charmes avec une telle perfection que j'en oublie que ma vie ne tient qu'à un fil, que je suis un funambule sur le point de tomber dans la disgrâce. Car ce soir, je suis sur mes deux pieds, parfaitement stable dans un univers virevoltant dans les cieux, qui m'emporte au delà de la réalité et de la monotonie.

Les mots glissent sur ses lèvres avec perfection, le rouge de sa bouche émerveille quiconque la regarde. Elle danse, se déhanche, dévoilant dans un spectacle qui me coupe le souffle, une beauté frappante, une attitude désinvolte qui hérisse chaque poils de mon corps. J'aime cet univers des années 20, où le fantasque ne fait que surplomber la magnificence de la musique. J'aime le corps de ses danseuses, pas pour leurs formes aguicheuses, mais pour leurs gestes parfaitement calculés. Elle maitrise tout, de leur corsage à leur voix étincelante, de leur pas à leurs levés de jambe. C'est divin de voir à quel point un art peut vous élever à un niveau bien au dessus de l'humanité.
Elle est belle, celle qui clos le spectacle. Elle est belle avec sa chevelure de feu, ses lèvres carmin et son regard esquissé par la main d'un maitre. Elle est belle, talentueuse, et elle me fait applaudir avec la vivacité d'un homme qui se sent pousser des ailes. Mes mains claquent, mes oreilles bourdonnent, tous nous sommes sous le charme, femmes et hommes dans un même écrin de plaisir. Et le rideau tombe, la vie reprend son cours. Mais je refuse de revenir à la réalité dans une telle brutalité. Je passe près d'autres tables et m'approche doucement d'un des hommes de fonction. "Excusez moi Monsieur, serait-ce possible d'aller féliciter la demoiselle qui vient de clore le show ? C'était...divin et je pense qu'en tant qu'artiste, elle apprécierait un tel geste…" Ma voix est professionnelle, claire et précise. Je sais parler aux hommes comme aux femmes, je sais écrire aux hommes comme aux femmes. C'est certainement l'une de mes qualités les plus utiles dans cet univers où les mots peuvent t'élever au rang au dessus. Bien que l'argent et le nom dominent encore et toujours dans ce monde de mensonges et de fausseté.
Je n'ai plus qu'à attendre et espérer que je puisse la remercier comme elle le mérite, elle qui a su faire chavirer mon coeur d'une simple oeillade, d'un simple geste, d'une simple note. Non, je ne suis pas amoureux. Je suis seulement bouleversé par sa prestation et l'éclat qu'elle y a mis. Ce n'est pas tout les jours qu'on tombe sur quelqu'un qui nous ressemble, qui transpire l'amour de l'art avec la même fureur.

Regarde & Chavire
Once in a lifetime, the suffering of fools
To find our way home, to break in these bones
Once in a lifetime
Give me a shot at the night

J'ai toujours été habituée aux températures froides. J'ai grandi entre l'Angleterre et la Suisse, pour parfois aller en Allemagne. Ce ne sont pas des pays qui sont particulièrement réputés pour être chauds lorsqu'on approche de Noël. Alors forcément même ce froid persistant d'Oxford ne me pique pas plus que ça les joues qui doivent être rosies un peu. Je fourre mon nez dans mon écharpe en laine remontée le plus haut possible. MOn souffle réchauffe celui-ci.. et puis mes lèvres aussi, c'est plus agréable. On ne voit surement que mes yeux entre l'écharpe et le bonnet. Mais je ne supporte pas être malade et même si j'ai l'habitude.. une angine ou un truc dans le genre me serait totalement fatale pour chanter et il n'est pas question que ma doublure prenne le relais, je crois que je le vivrais bien trop mal. Je suis LA comédienne, même si c'est un petit cabaret.. même si je reprend un rôle très connue.. je veux juste être sur scène, c'est tellement agréable d'être la personne que tout le monde regarde, le feu de la rampe, les projecteurs. Je pourrais m'y faire. Seulement je manque un peu trop de confiance en moi. On sait parfaitement que les filles de, les filles à papa, ne sont pas toujours les préférés des tournages ou des planches à Broadway, ce que les gens aiment c'est aussi voir un personnage en dehors de la scène, l faut un caractère, une allure, peut-être que je n'ai pas assez souffert dans ma vie pour me dire que c'est ce que je dois faire, ce que je suis. Allez savoir, pour le moment je n'ai dévoilé ma vie "secrète" qu'à une personne, bon enfaîte elle le sait surtout depuis le début, mais c'est la seule je sais qu'il ne se permettra pas de me juger. Je ne supporterais pas qu l'on me prenne pour ce que je ne suis pas. Ma mère le ferait et elle entraînerait avec elle, sans ses préjugés, mon père, l'homme de ma vie, qui est trop gentil pour avoir un bon discernement. Je crois qu'il aime trop ma mère cette femme avide de pouvoir et d'argent. Vous pensez vraiment qu'elle a eu le même coup de foudre ? Surtout lorsqu'on la voit aujourd'hui, on peut honteusement se poser des questions. Moi j'ai honte d'elle. Elle le sait mais elle continue à jouer le rôle de la maman copine, qu'elle crève congelée je m'en fous. Elle m'a pourrie toute mon enfance, pas question que je lui cède quoique se soit dorénavant.

J'arrive au cabaret où je me reproduis. Je suis toujours à l'heure, ici du moins dans les autres représentations si je peux dire, je ne le suis que trop rarement et ça en rend chèvre plus d'un. Ici, je sais qu'il me faut un petit moment pour me faire coiffer et maquiller, enfin, non, je rectifie, pour ME coiffer et Me maquiller parce que c'est un petit cabaret, pas le Moulin Rouge non plus. On fait un peu tout à l'ancienne, comme si vraiment nous étions ce cabaret que raconte l'histoire que l'on chante. Je rêve d'égaler un jour la grande Liza Minnelli. Je reprend son rôle titre ce soir, un soir du deux enfaîte. Il y a toujours cette petite pression.. je m'installe dans les loges, pas de loge personnalisée vraiment, j'ai mon petit coin. Je sors mes affaires de mon gros sac. Maquillage, fer à lisser, lisser à onduler, boucler.. vous voyez le genre, je suis équipée mais je suis aussi généreuse et les autres filles s'en servent bien sûr ! Je commence par le maquillage, je remets mes cheveux roux en arrière et je passe dans les années 20 en 20 minutes avec un maquillage qu'aujourd'hui je maîtrise à la perfection. Pas le choix. Puis ce sont mes cheveux, je fais un brushing années 20.. cela prend un peu plus longtemps, en attendant que cela prenne, mes ongles sont repeints et j'enfile ma tenue. Je ne suis jamais vraiment beaucoup, beaucoup habillée, c'est un cabaret années folles. Ma coiffure se termine, moins de vingt minutes avant le début du spectacle. on me place mon micro pour que je puisse avoir la voix qui prote sans me la briser. Puis le temps passe vite, petit rituel avec les comédiens, un verre de rhum de la Havane cul sec, un petit cris de guerre et la musique démarre et c'est à nous de transporter les gens dans un nouvel univers. Le spectacle dure 1h30 environs, peut-être un peu plus. Les gens dînent généralement en même temps, c'est le principe du cabaret. Je ne regarde jamais trop les gens, je suis concentrée. Le rideau tombe, les applaudissements retentissent et on salut avant de retourner dans les loges pour se féliciter ou s'engueuler. Parfois ça arrive, lorsque untel fait mal un truc et blablabla. Je m'assoie à ma chaise en face de ma glace attitrée. Mais pratiquement au même moment l'un des vigiles s'approche pour me dire qu'un type veut absolument me parler. Je me demande de qui il s'agit.. mais ma curiosité l'emporte et je le suis pour pouvoir voir de qui il s'agit. Il est là, je le reconnais mais je doute que lui oui.. enfin je crois qu'il se décomposerait sinon.. bien que ce soit totalement possible. Après tout, je ne le connais pas personnellement, je ne crois pas lui avoir adressé la parole une fois. Oh pas que j'ai des à priori mas je n'ai jamais eu l'occasion d'aller faire l'homme à tout faire du campus de la fac où j'étudie. " Bonsoir, on m'a dit que vous voulez me voir, je suis toute ouïe " Je prend un air un peu séductrice, il est mignon je trouve, enfin il faut que j'arrête de draguer dès qu'un garçon me plait, je dois plus les faire fouir.  Mais avoir un fan, en tout cas ça me plait, non, c'est le premier. Et je crois que ça a plus d'importance que ce que je veux me le dire.

Regarde & Chavire
Once in a lifetime, the suffering of fools
To find our way home, to break in these bones
Once in a lifetime
Give me a shot at the night

Elle est aussi belle que sur scène, quand la lumière du projecteur fait briller sa peau comme une étoffe pailletée, quand les acclamations du public allument ses joues d'une couleur rosée. Parfois, il y a cette déception, de voir dans le privé, celle qui a illuminé tout un spectacle. Parfois, les couches de fonds de teint, invisibles à deux mètres, sont dignes d'un maquillage à la truelle à quelques centimètres, parfois le liner a coulé et transforme les yeux de chats en regard canin, tombant et sali par la sueur. Parfois… Parfois il y a juste la déception de ne pas rencontrer une étoile, mais simplement un humain, dès lors que la musique s'arrête et que le silence reprend son droit. De se retrouver face à une personne lambda, qui est aussi lumineuse qu'une lampe torche de camping. Mais elle, elle virevolte en avançant vers moi et sa voix est aussi douce que la mélopée qui a fait chavirer mon coeur quelques instants plus tôt. Elle sentirait la fleur que ça ne m'étonnerait même pas ! " Bonsoir, on m'a dit que vous voulez me voir, je suis toute ouïe " La sympathie des artistes n'a pas de prix dans cet univers où l'argent est roi et le titre empereur. Je ne suis rien dans ce monde, malgré mes talents, malgré mon désir de monter l'échelle sociale, je ne suis rien d'autre que l'homme Serpillère de ces enfants qui n'ont d'yeux que pour leur carte bancaire. Il m'arrive de ne pas ouvrir la bouche de la journée, contemplant ceux qui sont plus omnibulés par leur soirée que par l'humanité qui flanche tout autours. Se rendent-ils compte de la crise qui sévit en Europe ? De la déprime chez leurs congénères, de la tristesse dans les yeux de leurs amis ? Comment pourraient-ils le voir alors que leurs regards se cachent derrière les ray-ban de papa ? Alors face à une voix guillerette, aussi charmante que charmeuse, je me sens presque au dessus de ces gosses qui, ce soir, ne pourront me passer devant.
La main dans les cheveux, je lui adresse un sourire en coin, répondant à son jeu séducteur avec amusement. "Je souhaitais vous féliciter pour votre prestation, c'était… divin. Vous avez une voix envoutante, et je pense que le reste de la salle serait totalement d'accord avec moi pour vous dire que vous avez illuminé la scène. C'est rare de voir des femmes comme vous, avec autant de…." J'en perd mes mots. Pourtant, je suis de ceux qui manie le vocabulaire avec aisance et tact, mais devant une femme qui a su charmer une salle entière de sa simple voix, j'en deviens presque gêné."… de charisme et de maturité." A nouveau, un sourire, plus grand, plus enjoué, plus séducteur. Non, je ne fais pas parti de ces don juan qui écument les rues pour ne pas finir seul la nuit, bien au contraire. Mais j'aime me prouver que je peux encore séduire malgré mon âge avancé, mon statut, et ma profession. Et puis, quand on se retrouve face à une femme de sa trempe, qui sait manier ses cordes vocales avec autant d'aisance que ses jambes, comment résister ? "Vous chantez depuis longtemps j'imagine ? Vous avez d'autres opportunités sur Londres ou vous jouez seulement ici ?" Trop de questions, trop de bavardages, je ne veux pas la déranger alors qu'elle doit surement être fatiguée mais…L'envie de converser avec une personne qui élève l'art au seul rang qu'il mérite, est tellement brutale, que je reste immobile face à elle. Immobile et charmé. "Je ne veux pas vous déranger avec toutes mes questions, je… Je voulais juste… vous dire à quel point vous êtes douée." Ne me renvoie pas, demande moi de rester, jolie chanteuse à la voix de merveilles qui à illuminer ma soirée.