Black Widow - How to make the rules ; Lynn

Black widow - How to make the rules


Catherine Blackbird & Lynn Forester

L’atmosphère élégante et raffinée du Duke of Cambridge auréolait l’espace tout autour de leur petit duo. Le velours feutré des sièges étouffait le moindre mouvement des convives, le sol recouvert d’épais tapis ne laissait pas filtrer le moindre bruit de pas. Pourtant, le volume sonore était important, grâce ou à cause, selon les points de vue, des verres claquant sur les tables du même matériau, des éclats de voix des personnes présentes, des rires et de la musique diffusée pour alléger le climat respirant l’entre soi aristocrate, mâtiné de bourgeois venus faire leur œuvre hebdomadaire non pas de charité mais de paraître. Levant les yeux, Lynn contempla un instant la verrière qui laissait apercevoir le ciel, au-dessus du bar de forme ovale, situé en plein de la grande salle, entouré par de petits compartiments où s’étaient installés les buveurs d’un soir. Ou de plusieurs soirs, d’ailleurs, quand on voyait la résistance à l’alcool de certains, preuve d’un entraînement bien au point. Se reconcentrant sur la verrière, Lynn admira quelques instants le ciel teinté de rose, d’orange et de mauve, signe d’un soleil couchant. Bientôt, la nuit tomberait totalement sur Oxford et les étoiles brilleraient ailleurs que dans les yeux de Lynn et de sa complice qui lui faisait face.

Catherine Blackbird. Rien que de songer au nom de son Alliée (elle méritait largement un A majuscule), Lynn souriait. Elle la connaissait depuis qu’elle avait intégré les rangs des Forester, quatorze ans auparavant très exactement. Et elles étaient semblables, semblables au plus haut point. Manipulatrices, ambitieuses, cyniques, sans scrupules, avec un sens de l’honneur exacerbé, qui paraîtrait incompréhensible aux yeux de n’importe qui qui n’était pas elles. Douze ans auparavant, les deux jeunes femmes avaient passé un pacte, un pacte sacré, frappé du sceau de la solennité de leur prime jeunesse. Arriver au sommet ensemble, voilà tout. Quel sommet ? Tous, évidemment. Etudes, réussite sociale, tout leur était dû, et elles obtiendraient tout. Mais la clé de tout cela était qu’elles l’obtiendraient ensemble. C’était cela, le serment. Simple et limpide. Que l’une des deux y arrive alors que l’autre échouerait n’aurait aucun sens tout simplement. Leur réussite, elles la pensaient à deux.

Voilà pourquoi elles étaient dans ce bar élégant ce soir. Ce bar, repère réputé des Posh, ce groupe aussi secret que sa notoriété était grande, ce club très select qu’elles comptaient bien intégrer ensemble. Plusieurs de ses membres étaient là, à seulement quelques mètres d’elles, pavanant en robes haute couture, talons vertigineux et champagne coulant à flots. Comme Catherine et Lynn. Sauf que ces dernières n’avaient pas encore le précieux sésame, la précieuse clef d’entrée au club. A côté des Posh et à côté des deux alliées, toutes les autres prétendantes à la même clef. L’essentiel était qu’elles ne leur arrivaient pas à la cheville, et qu’elles comptaient bien le leur montrer. Il leur fallait une stratégie, et c’est ce qu’elles mettaient au point ce soir.  Cath s’était d’ailleurs mise à prendre les devants :
"Faut qu'on y aille par élimination"

Lynn hocha la tête, sourire de connivence aux lèvres. Les yeux de Catherine brillaient autant que les siens et les deux sentaient que pour un peu, elles n’auraient même pas besoin de se parler, tant, depuis le temps qu’elles se connaissaient, elles étaient presque capables de lire les pensées de l’autre. Pour cette raison, Lynn aurait même pu deviner la phrase qui allait suivre, avant même que son amie ne la prononce :
"Tiens, je t'ai apporté une petite liste de nos principales concurrentes
- Si on ne la connaît pas encore par cœur, depuis le temps…" plaisanta Lynn avec un sourire entendu.

Les deux savaient bien qui éliminer, depuis quatre ans qu’elles s’échinaient à écarter les mauvaises herbes de leur chemin. S’y étaient cependant ajoutées les premières années arrivistes du cru 2015, et d’autres impertinentes qui s’étaient senties pousser des ailes au cours de l’année universitaire et voulaient à présent tenter leur chance. Lynn parcourut la liste des yeux, ses pupilles tiquant avec agacement sur certains d’entre eux, comme celui de Daisy Hamilton. Probablement une des personnes qu’elle haïssait le plus dans cette fac (et qui le lui rendait bien, d’ailleurs) et, rien que le fait de savoir qu’elle pouvait intégrer les Posh lui donnait envie de dynamiter la jolie brune. Pour autant, Lynn savait que celle dernière était une alliée de Catherine dans une sorte de « chasse aux sorcières », où les ensorceleuses toutes de noir vêtues étaient en réalité les boursiers, sortes de parasites dans cette université d’élite. Le combat était louable, l’alliée, beaucoup moins, du moins aux yeux de la jeune Forester. Néanmoins, pour cette raison, Lynn se doutait que la fille du directeur d’Oxford ne serait pas la première éliminée et elle respectait cela. Catherine était beaucoup plus importante qu’une guerre contre Daisy Hamilton.

Repoussant le papier vers son alliée de toujours, Lynn plissa les yeux et, baissant la voix (bien qu’elles parlassent déjà si bas qu’il était hautement improbable que quiconque eusse pu saisir un mot de leur conversation), elle demanda :
"Alors, ma chère, par qui veux-tu commencer ? Choix du roi, je te laisse le premier mot. Voyons ce qu’on peut trouver contre cette première nominée."

Remerciant d’un signe de tête le serveur venu remplir à nouveau leurs flûtes de champagne, elle but lentement le liquide doré et pétillant. Les étincelles qui allumèrent son esprit, conséquences de l’alcool, la réjouirent et l’enthousiasmèrent. Son cerveau retors se mettait en marche et était prêt à toutes les petites manipulations et compromissions ce soir, elles allaient s’amuser, elle le sentait. Se penchant à nouveau vers Catherine, elle ajouta :
"J’avais pensé également à autre chose, une action qu’il faudrait mener en parallèle de cette épuration des concurrentes. Que dirais-tu de cibler certaines Posh elles-mêmes ?"

Elle ne savait pas si Catherine y avait déjà pensé, en tout cas, les deux jeunes femmes n’avaient encore jamais tenté le coup. Lynn s’expliqua :
"Cela fait quatre ans qu’on contribue à éliminer de la concurrence, mais cela ne suffit pas. Imagine une gifle publique, au sens figuré bien sûr, à une ou deux Posh, très bien choisies pour éviter de froisser d’autres susceptibilités, de manière discrète et indétectable, encore plus que d’habitude. Cela libère des places dans le club. Et à nous la victoire !"

Ayant fini de parler, la jeune femme se recula à nouveau dans le velours de son siège, attendant l’avis de Catherine. C’était une idée parmi d’autres, un moyen de pousser la stratégie plus loin… A voir.