Petit vengeance entre collègue.

Dean Tuder : le professeur qui n’avait pas sa place à Oxford. Le professeur qui ne méritait ni son rang ni aucun autre prix scientifique. Non content d’enseigner l’exobiologie (pourquoi pas), il tentait de formater l’élite en leur informant que l’être humain était peut-être extraterrestre, que ses gènes ne venaient pas de la planète « Terre » mais peut-être d’ailleurs et qu’il avait les connaissances pour le décrypter. bollocks. Cartésienne dans l’âme, Rae n’arrivait pas à l’encadrer, préférant l’éviter afin d’échapper à toutes confrontations.

Confrontation indirecte, donc. Après avoir cassé du sucre sur le dos de Tuder, l’Irlandaise s’était alliée avec son meilleur ami pour lui offrir une visite surprise. Large sourire planté au bord des lèvres, comme une gamine ravie de commettre un méfait, Rae attendait l’heure fatidique. Elle décrocha son cellulaire avant même de laisser la deuxième sonnerie se faire entendre. Ils avaient à présent une heure dans leur mission commando. Si Eliakim allait se salir les mains (elle ne pouvait pas prendre le risque de se faire prendre avec son statut d’étudiante), elle allait garder un œil sur leur cible. Tranquille, Tuder venait d’ailleurs de la dépasser. « Il vient de se servir un café » lâcha-telle à demi-mot, consciente qu’elle devait être plus discrète que d’habitude. Au revoir rire cristallin et blague à répétition. A l’autre bout du fil, elle entendit le pseudo-Irlandais pénétrer dans l’antre de l’imposteur.

« Dis mois que tu as un plan tordu… des produits cachés dans la pièce ou autre » Elle n’avait pas accès à la pièce du professeur ; mais elle ne manquait certainement pas d’idées. « Je croyais que c’était toi le professeur, chou ? » Chou. Elle avait intérêt à éviter les surnoms si elle ne voulait pas que Dean ne la repère. « Ecoute. J’ai donné à la dame de ménage un sac qu’elle a dû déposer dans un coin de la salle. » Contenant du fil de pêche, une pièce de cuivre et deux bocaux remplis de poudres colorées. « Si tu savais comment il ne se doute de rien. Il vient d’ouvrir le journal. Tu trouves ? S’il ne trouvait pas, ils allaient déjà devoir se rendre au plan B.

Les yeux sur sa victime du jour, Rae se délectait. Elle se délectait de le voir se mouvoir, l’air suffisant, comme si le monde lui appartenait. Elle savourait de le savoir insouciant, loin de se douter de son manège – à elle et à Eliakim. « Mais tu es le cerveau de cette opération bébé…, osa-t-il lui dire, à l’autre bout du combiné. La brune leva les yeux au ciel, se retenant de se moquer de lui, préférant tapoter des doigts contre le bois de la table. Comme elle l’avait fait tous les jours de la semaine, pour soigner son alibi, pour qu’il ne se doute de rien. Penchant la tête sur le côté, lâchant quelques « hm hm » bien placés, Rae jouait à perfection le rôle qu’elle s’était attribuée. Le papier glacé d’un magazine people glissa entre ses doigts alors qu’elle feintait de s’intéresser aux dernières mœurs de Cate Blanchett – sérieusement, elle faisait encore du cinéma ?

« Ouais j’ai le sac… » finit-il par lui lâcher, mettant fin au suspense. La trentenaire en soupira d’aise, décroisa et croisa les jambes dans l’autre sens, avant de tourner la page. « C’est de la Blue Sky ? La drogue de breaking bad ? » Arrêt sur image de la part de la brune – elle en fronça même les sourcils. L’Irlandaise releva la tête, balayant l’ensemble de la pièce de son regard las. « Tu baves quoi, chou ? T’es tombé sur la tête ? » s’enquit-elle, à moitié amusée. Rae connaissait la série de nom ; c’était là que se limitait ses connaissances. Après, elle ne répondait plus de rien. « Tu te souviens de ma gabardine couleur pêche ? Il lui manque un bouton. Tu sais où je pourrais le trouver ? » lâcha-t-elle dans les airs, optant pour l’écervelée du jour si jamais l’on venait à surprendre leur conversation. Si Eliakim visait juste, il lui suffisait de mettre le morceau de cuivre dans la poudre orangée pour qu’elle ne se transforme en liquide. « Bien sûr, faut que je trouve du fil qui va avec. C’est là que c’est difficile. Cette histoire de nuance … un désastre. » Fil. Fils de pêche. A l’autre bout de la pièce, Dean mit la cafetière en route, assez pour couvrir le son de sa voix. Tournant la tête sur le côté, Rae se mit à murmurer : « Coince le fil dans la porte. Lorsqu’il rentre dans sa classe, le fil doit tirer sur le liquide – t’as un liquide, eh ? – pour se renverser dans la poudre blanche. » A lui de comprendre que la fenêtre était sa voie de sortie. « Débrouille-toi. Et tiens moi au jus » le pressa-t-elle au téléphone alors qu’elle gardait l’œil sur leur victime.

L’Irlandaise tournait les pages de son magasine, inlassablement, alors qu’elle tentait de se souvenir avec exactitude ce dont elle avait besoin. Ce dont il avait besoin, plutôt, maintenant que le professeur de biologie était dans l’antre de celui d’exobiologie (sic) à lui préparer une surprise qu’il n’oublierait pas de sitôt. Et alors qu’elle déblatérait à demi-mots, cachant les actions sous des phrases valises, Rae s’assurait qu’elle ne manquait pas un point. Manquerait plus qu’Eliakim se fasse avoir à cause d’elle et subisse les foudres de l’administration d’Oxford qui rirait autant qu’elle en pleurerait. « T’es bonne en charade… J’espère que l’autre flan n’a rien capté ? » hasarda son ami au téléphone. La trentenaire osa lui jeter un coup d’œil ; il se servait une nouvelle tasse de café. Rien de nouveau à l’horizon. Elle reporta son attention sur le corps de Kate Moss cette fois-ci, brindille qu’elle était, dans une tenue cuir et rock. Rire. « Ca va faire quoi exactement ? Exploser ? » Exploser ? Non, loin d’elle était l’idée de mettre « un tiers » en danger, en proie à des explosions. Fidèle à elle-même, Rae voulait le ridiculiser plutôt que de lui faire mal. Elle voulait que ses étudiants se moquent de lui, perdent confiance en ses capacités à enseigner, convoquent le conseil d’administration plainte à l’appui, favorisent son renvoie. Si la trentenaire n’était plus le bourreau des cœurs qu’elle était dans le passé, elle avait gardé sa propension à traîner les autres dans sa chute. « Non. C’est comme le boule de lush que tu mets dans ton bain. Ca mousse. Beaucoup. Par contre, ce n’est pas la même qualité. Ca se sent pas … bon. » Pas du tout. Un des composé était un composé soufré dont l’odeur rappelait celui de l’œuf pourri.

« Je sors com… » lui lâcha Eliakim à l’autre bout du fil – la trentenaire étouffa un rire qui lui montait à la gorge. « Je me vengerais Rae », acheva-t-il alors qu’elle lui répondait sur le ton de la rigolade. « Je n’en doute pas cara » Forte de ses habitudes, Rae avait insisté sur le dernier mot comme elle appuierait sur une blessure pour contenir l’épanchement de sang. Retour à la pièce, à sa pièce, alors qu’elle entendait son ami s’agiter de l’autre côté du cellulaire. Elle tentait de s’accrocher aux bruits, de leur donner une signification. Un grincement : c’était la fenêtre, ancienne, qui s’ouvrait difficilement. Un froissement d’étoffe : c’était Eliakim qui enjambait la rambarde de la fenêtre. Et puis, alors qu’elle n’entendait qu’un bruit sourd – il venait certainement de passer par la fenêtre – Rae fut prise d’inquiétude. « Mon cœur, tout va bien ? » Elle quitta sa table pour se poster près de la fenêtre, tira les rideaux, osa jeter un coup d’œil à l’extérieur. A l’autre bout du quad, Eliakim se releva tranquillement sous l’œil ahuri de quelques étudiants de passage – l’Irlandaise en soupira ; elle n’avait pas aimé son silence. Ses deux secondes de silence – quand bien même il n’avait que sauté du premier étage. Soulagée, Rae retourna à sa table et se laissa choir à sa chaise avant de remarquer que quelque chose clochait. Il n’était plus là. Dean n’était plus là, il venait de mettre les voiles. L’Irlandaise se redressa vivement. « Je l’ai perdu de vu. Il … » Il n’est plus là, comme évaporé. « Je tente de le rattraper. S’il t’apperçoit maintenant, il va faire directement le lien. » acheva-t-elle, récupérant sa gabardine et s’enfuyant à grandes enjambées par la porte sous le regard surpris de ses collègues. « T’es toujours là ? »

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Moment de flottement et peur panique. La trentenaire retint sa respiration après que le professeur ait sauté du premier étage. Elle savait qu’il allait bien : de là où elle était, elle pouvait le voir se remettre debout. Pourtant, pourtant, tant qu’il ne lui dirait rien, elle ne pouvait s’empêcher d’angoisser. « Ca va super oui et toi ? » Il allait bien – Rae expira enfin et tira les rideaux. Malgré elle, elle ne pouvait se défaire du sourire qui venait de s’étaler sur son visage. « T’es con. C’pas moi qui ait sauté cara » soupira-t-elle dans le combiné de son cellulaire, levant les yeux au ciel. Et ce fut l’instant d’après, juste d’après, que son cœur s’emballa pour de bon : Dean venait d’échapper à sa surveillance. Informant son amie, récupérant sa gabardine aussitôt, elle s’engouffra dans le couloir à la recherche du professeur disparu (ce qui ferait un très bon nom de bouquin, faut l’avouer). La chargée de communication avala les dalles du sol, tournant sa tête à chaque intersection pour découvrir où se cachait l’autre professeur d’exobiologie (quelle connerie, ce cours). Et si au départ elle tentait de faire le moins de bruit possible, ses talons résonnaient clairement dans les couloirs : Dean n’était pas en vu. « Oui je suis là. Il est où ? Tu le vois ? » La panique, soudainement, était présente dans le voix de son ami – Rae s’en voulait d’avoir laissé l’autre s’échapper. « Hein Hein » lâcha-t-elle dans les airs, hochant négativement une tête qu’il ne pouvait voir.

L’Irlandaise se surprit à ouvrir quelques portes à l’improviste, espérant y voir Dean. S’il lui demandait ce qu’elle faisait là, elle pouvait toujours improviser. Lui dire qu’il avait oublié quelque chose dans la salle café, lui donner un autre alibi. L’imagination de la demoiselle était fertile – surtout lorsqu’il s’agissait de mentir. Elle se démenait comme elle pouvait, le cellulaire toujours collé à son oreille. Elle entendait l’autre Irlandais tenter de se débrouiller par lui-même en demandant de l’aide à « Andrew ». Élève, certainement, qu’elle ne connaissait pas. Elle trouvait la conversation entre les deux amusantes et si la situation n’était pas urgente, Rae se serait certainement posée pour en rigoler. Mais ça, elle le savait – ils le feraient plus tard. Arrivant à l’entrée du quad, elle découvrit Dean à quelques pas d’elle. « Feck », laissa-t-elle échapper tandis qu’elle faisait demi-tour, profitant de l’ombre du couloir pour s’y cacher. Elle n’avait pas vu Eliakim lorsqu’elle avait jeté un coup d’œil dans la cour … De l’autre côté, Dean disparaissait de nouveau dans le bâtiment avec Andrew (elle le supposait) sur ses talons. « Je suis dans… le buisson plein de ronces juste à côté de l’entrée. Aie ! » Il protesta ; elle laissa échapper un léger rire cristallin. Maintenant que Dean était hors de vue, Rae s’avança de nouveau dans le quad. Il lui avait dit qu’il était prêt de l’entrée. Donc : prêt d’elle. Plissant les yeux, elle le chercha du regard, le trouva, s’avança. « Dans quoi on s’est encore fourré… » lui dit-il une dernière fois. Et alors qu’il était finalement devant elle, elle lâcha une dernière fois : « Entre nous, c’est toi qui est dans un fourré ». Jeu de mots made in Rae, bienvenue.

Mettant fin à la conversation, Rae tendit la main de direction de son ami. « Reste pas là, tu t’es déjà fait remarquer. » De sa faute, celle de Rae – mais elle n’allait pas l’avouer. « Je t’offre un chocolat chaud, t’en as besoin. »

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