Festival des associations - Oxford University Fencing Club

Hors de propos. Hors-jeu. Hors de question. Hors de question de se joindre aux étudiants, d’avoir la moindre relation avec eux, d’avoir la moindre parole amicale ou d’effectuer le moindre sourire. Distance. C’est devenu une habitude de les regarder de haut, de les voir naviguer en eaux inconnues, persuadés d’avoir raison, persuadés d’être au centre du monde alors qu’ils perdent lentement pieds. Marionnettes de l’administration, pantins de leurs parents. Triste rengaine, toujours la même, toujours le même scénario. De retour de mon bureau, dossiers en main, je traverse la foule d’étudiants rassemblés au King’s College pour le festival des associations.

J’aurais dû y penser.
J’aurais dû l’éviter.

Maugréant, je navigue entre les étudiants, décroche quelques sourires pincés. Ne prends pas la peine de m’excuser. Puis, au milieu du vacarme, je reconnais une voix. Daisy. La fille du doyen. L’alliée dans cette guerre. Je ralentis la cadence, la découvre à brailler sur un jeu de marelle amélioré (ouf), découvre l’ancien amant (ou actuel) d’Eliakim, découvre l’autre thésarde de Cambridge. J’en grimace à cette vue, décide d’amener mon grain de sel, de garder un œil sur ces deux derniers individus. Daisy – « Félicitation à Breeony pour avoir remportée la somme de 150 livres ! Une chance de cocue. Pour les trois prochains gagnants, vous pourrez obtenir une danse avec le ou la membre du club qui vous plait le plus ! Bonne chance à vous ! » Je retiens un sourire, amusée, comprends qu’entre elles : ce doit être la guerre. Intéressant. Intéressant. Poussée par l’envie d’en découvrir plus, d’avoir plus de matière, je finis par les rejoindre. Directement case de départ. Lancer du dé en mousse. Chiffre 6. Bon départ.
Dire que j’ai juré de ne jamais me mélanger avec eux.

Case de départ: départ
Case d'arrivée: 6

lumos maxima

Mes talons claquent contre le bitume tandis que le dé en mousse rebondit mollement sur le sol. Sans un bruit. Sans un écho. Avant que l’autre rousse ne s’extasie, lève les bras en l’air et se dandine tandis que ses pas la mènent sur la case d’arrivée. Soupire. Je soupire devant l’ignorance et la naïveté des étudiants, me demande à quel moment le monde a raté un tournant, accroche un instant sur la chevelure de feu de l’étudiante avant que Daisy ne me rappelle son prénom. Arabella. Comment aurais-je pu oublier le prénom de la sœur d’Eliakim – il était évident que les deux partageait le gêne de la connerie. Faudrait d’ailleurs que je lui laisse un SMS à ce propos, me dis-je, pensive.

Le son des louboutins de Daisy sur l’asphalte me ramène à la réalité. Je détaille la silhouette de la fille du doyen, majestueuse, plantée sur ses 18 centimètres. Elle ne vacille pas, la brune, mais écrase les autres de sa présence : est-ce une piètre manière d’exercer son pouvoir et de montrer qu’elle leur est supérieure ? J’en souris, faiblement ; à peine de quoi étirer mes lèvres en un sourire carnassier. L’enfant-adulte dépasse un jeune homme pour venir enfoncer ses bottes case 12. Il ne m’en faut pas plus pour prendre le dé à mon tour. Foutu dé de mousse ; déjà imprégné de la flotte tombée en début d’après-midi, un peu plus lourd qu’auparavant. Un peu plus sale aussi. J’en râle. Le laisse rouler à mon tour. Quatre. Symbole du concret, de l’entêtement et de l’obsession. Obsession qui peut se vouloir malsaine – ça aussi, j’en rigole. Avec les délires de ma mère envers la religion, je me suis toujours juré cartésienne. Ou agnostique, s’il faut vraiment se déclarer au niveau « spirituel ». J’en souffle, laisse la précédente case pour arriver à la dixième, dépassant le jeune homme que Daisy a elle-même déplacé. Mieux qu’un jeu de l’oie.

Case de départ: 6
Case d'arrivée: 10

lumos maxima