(inachevé) (le diner de snell, intrigue) pause clope - noah

Pause clope. J'en soupire, souris, m'éclipse de la salle des festivités dont l'ambiance plombe mon moral. Le gris me mine, me désespère, offre une couleur bien trop terne pour une classe qui se veut élitiste. Le gris apaise, les apaise, leur fait croire qu'ils peuvent se fondre aisément dans la masse pour ne pas avoir à répondre de leurs actions (ou inactions). C'est comme ça, je n'aime pas le gris. Je n'aime pas cette aura néfaste, cette uniformité que tous attaquent et chérissent en même temps, cette pseudo-protection apportée par un effet de brouillard. C'est cela même. Le gris fait disparaître les contours, se dilue dans la nuit, prône l'inexistance et l'existance des conséquences - les deux. J'en souffle. Débarque sur le parvis de la salle du Dining Hall, accueillie par une brise trop fraiche. Je frissonne, lève les yeux vers le lampadaire qui donne une couleur étrange aux alentours. Il clignote une fois, deux fois - je devrais en parler à Miro. Rien ne me fait plus plaisir que de lui donner du travail, un surplus de travail. Je veux le voir crouler sous les obligations, le voir galérer à joindre les deux bouts: son travail diurne et son travail nocturne. Si je déteste le gris, je hais les drogués. Mon dégoût pour eux sort par mes pores, dégoulinent le long de ma peau, éclabousse le sol. Mais pire que les drogués, j'abhorre ceux qui en sont les investigateurs et lui, ce Miro, ce beau Miro, il leur fait promettre de beaux rêves enflammés. Des danses envoutantes. Une escapade nocturne. Je le hais, je les hais - et pourtant, pourtant... J'en pince les lèvres, tire un peu plus sur ma cigarette, lève les yeux vers les étoiles tout en resserant cette cape rouge officielle. Heureusement que l'on a du rouge, heureusement. Lentement, je presse le pas, fais claquer mes talons jusqu'à la fontaine Mercury. On n'y voit pas grand chose, rien même. Pour autant, le clapotis de l'eau apaise mon esprit et toutes ses mauvaises pensées. Car s'il ne tenait qu'à moi, j'aurais volontier rehaussé la soirée. Un peu de tabasco dans la soupe. Ou du poivre dans les boissons. Et que dire d'un peu de sel dans les verres. Rien de méchant, juste chiant. Distraite, je regarde la fumée s'échapper de ma bouche avant d'un autre claquement de talon ne me ramène à la réalité. Je plisse les yeux, tente de distinguer la silhouette, découvre un étudiant se rapprocher. Triste. Si triste. Revêtu de noir et non de gris. Moins triste. Le voir endimanché de la sorte m'arrache un sourire et, soudainement, il me revient en mémoire.
- Tiens. Le mec avec la fille au jus d'orange. Le tac a toujours été quelque chose qui me manquait, ça n'allait pas changé. Alors, on s'amuse? A faire des galipettes. A faire le beau. A faire la comédie. Danse, danse petit. Oxford vient à toi.

La pénombre m'empêche de voir un fin sourire étirer les lèvres du jeune homme ; le lampadaire n'a aucune utilité. Une question d'ombre, de contre-jour (ou contre-nuit) et de position. Mais les traits du brun ont fini par s'affirmer, se détacher de l'obscurité. Il est là, devant moi, dans toute sa jeunesse. J'en pince les lèvres, garde un masque d'autorité alors qu'il plonge ses yeux sans les miens. Audace. Surestisme de soi. Audace surtout, j'y reviens. Il a une gueule d'ange mais l'audace de ceux qui ont l'habitude des soirées mondaines. J'hésite à en souffler, le laisser parler, le laisser me faire la morale sur les soirées d'Oxford. « Cette soirée est tout ce dont on fait de plus classique à Oxford, même si il manque peut être un peu de fantaisie, je dois dire que je passe une bonne soirée pour le moment. Vu la manière dont vous m’avez posé la question j’imagine qu’il n’est pas judicieux de vous retourner la question...» A classique, j'aurai certainement préféré le terme « pompeur » mais il faut croire que chacun y voit ce qu'il veut. A moins qu'il n'en soit resté au politiquement correct, à afficher un sourire politiquement adapté et des vêtements politiquement acceptés. Cette fois-ci, j'en souffle vraiment, tire une autre fois sur ma clope, recrache la fumée sur le côté. Tout ce gris, ce n'est que le gris de mes pensées. J'ai l'impression d'être coincé dans le passé, d'avoir raté quelque chose, de ne pas avoir réellement saisi ma chance à être partie d'Oxford du haut de mes 19 ans pour y revenir une décennie plus tard. Exactement une décennie, d'ailleurs. « Ai-je dis que je ne m'amusais pas ? » Je laisse la question en suspend, laisse un sourire carmin s'étirer, entre deux eaux. Voilà que le gamin m'amuse – mais il ne me sort pas de ma morosité. De ce sentiment à la con causé par trop de formalité. J'ai échappé à la plupart des dîners pompeux ces dernières années, je n'en ai pas encore retrouvé l'habitude. Je n'arrive plus à courber l'échine, à brosser les autres dans le sens du poil, non. Ce qu'il me reste, c'est seulement un sourire masqué et un bon bagout. Une audace déjà présente étudiante qui s'est envenimée par la force de l'âge (et des choses). « J'attends seulement la suite. Tu dois la connaître : le verre de trop. Le discours qui s'enflamme. Les divergences d'opinions. Et ça, ce n'est pas de la fantaisie. » J'ai donné, me suis affiché plus d'une fois, ai donné de la voix. Du corps aussi. J'ai toujours aimé bousculer les habitudes, les opinions, pousser les autres dans leurs retranchements. Je souris à l'idée de m'y remettre ce soir, au temps des discours, et de les voir tomber un à un. Je souris à l'idée de voir leurs sourires quitter leur visage alors que ce qui les quitte vraiment, c'est la prétention au trône (aka le but de la soirée). Je m'assieds sur le rebord humide de la fontaine, m'en moque, regarde l'étudiant-pinguin se rincer la gorge à coup de vin. « Je n’ai pas la chance de vous connaitre... Je suis Noah...Noah Pearson...» Je fronce les sourcils, le dévisage un court instant, écrase le reste de la cigarette au sol d'un coup de talon. Pearson. « Tu me rappelles quelqu'un. » Pearson. Ce nom résonne dans mon esprit, tente de se frayer un chemin – en vain. De toutes manières, tout le monde est « fils ou fille de » dans le coin ; ça ne m'étonnerait pas que ce soit aussi le cas avec lui. De mon sac à main, je sors une bouteille de plastique remplie d'un liquide de couleur ambrée ; J'en bois une gorgée, la dépose à mes côtés, l'indique du doigt. « Du Jameson. Ca ne va pas avec le vin. Mais si t'en veux, sers-toi. » Une invitation comme une autre, comme ça, alors que rien ne m'y force. Elle est juste là, tordue, trônant sur le bord de l'eau. Elle est juste là, comme ça, si l'envie me reprend. « Alors dis moi Noah, vu que tu passes une bonne soirée, je suppose que tu te présentes. T'as ton discours en poche ?» Je relève la tête vers lui, tapote contre la poche de ma veste – j'ai déjà envie d'en fumer une autre. Au lieu de quoi, je soupire, lâche l'info du soir : « En attendant, tu peux m'appeler... » Rae. Prénom à la con qui se prononce Rae. Pourtant, pourtant, j'ai envie de le pièger – vieille habitude, qu'il ne m'en veuille pas. Alors, pour plus tard, et pour lui, ce sera : « Imogen. Il y a mieux, je sais. » Imogen, c'est mon second prénom. S'en souviendra-t-il lors de son discours ?