Ibiza. Sea, Sex and Sun. Le tiercé gagnant de vacances réussies, selon la plupart des oxfordiens et oxfordiennes. Pour sa part, Sixtine trouve l’endroit carrément vulgaire. Certes, sa chambre d’hôtel est à tomber, mais… C’est tellement
cheap. L’Espagne, dans sa totalité, est une destination cheap. Non pas que le pays n’en vaille pas le coup d’œil, loin s’en faut. Après tout, peu d’endroits au monde valent le Palais de l’Alhambra, une femme aussi cultivée qu’elle ne peut bouder Rosas et son Musée Dali. Mais à Ibiza, la seule trace de culture qu’on trouve, c’est sur les capotes usagées du front de mer. Île de toutes les tentations, les étudiants du monde entier viennent s’adonner à leurs loisirs répréhensibles, dans l’abandon le plus absolu. Ce n’est pas le genre d’environnement propice aux desseins de Sixtine, fleur bien plus délicate que cela. A elle, c’est de l’intimité qu’il lui faut pour fleurir, pour s’épanouir, et à de nombreuses reprises, elle s’est demandé ce qu’elle foutait là.
Et puis… Elle a fini par se prendre au jeu. A son jeu, en l’occurrence. L’avantage d’avoir choisi une destination so cheap, c’est qu’on la croira sans l’ombre d’un doute quand elle expliquerait qu’elle est prof stagiaire, qu’elle a claqué toutes ses économies pour se payer le billet d’avion jusqu’ici et sa chambre d’hôtel, et que maintenant, elle n’a plus un rond. Ça, ou toute autre fable… Généralement, plus le mensonge est gros, au mieux ça passe. Il y en a un à qui elle est parvenue à faire croire qu’elle était censée être en lune de miel et que son nouveau mari s’était envolé avec une strip teaseuse transgenre… Il a eu tellement pitié qu’il a fait chauffer sa carte bleue pour la distraire toute la soirée. Rien qu’à imaginer sa tête en tombant, le lendemain matin, avec les locataires légitimes de la chambre 502 du « Magic Lagoon », un rire lui échappe.
L’île, du reste, n’a rien de désagréable. Il fait beau, chaud, mais l’air marin rafraîchit délicieusement l’atmosphère. La journée, Sixtine jongle entre spa, piscine et plage, sur laquelle elle n’hésite pas à prendre de l’avance en explorant les systèmes pénaux de différents pays. Et oui, malgré tous ses efforts, la jeune femme est incapable de végéter. S’allonger et ne penser à rien, se dorant délicieusement la pilule au soleil ? Non, et son bronzage en pâtit. Il s’en faut de peu que la trace du livre sur ses cuisses n’en devienne visible… Parfois, elle peut rester ainsi des heures à potasser, et d’autres on vient l’interrompre. Généralement, les réflexions sont les mêmes mais diffèrent de visage. Tantôt un brun, tantôt une blonde, mais qui, globalement ont le même message. Ibiza, c’est fait pour faire la fête, pas pour étudier. Sixtine se pare alors de son sourire le plus niais et sort son alibi de son sac, une revue people au contenu aussi débilitant que possible, et ajoute, gourde. « Je travaille pas vraiment, je fais ça pour faire genre… Ne me trahis pas surtout… » Un clin d’œil, et le tour est joué. On rit de la plaisanterie, et on lui propose de se changer les idées. Efficace, vraiment.
Mais, aujourd’hui, pas d’interruption à « déplorer ». C’est donc la peau joliment hâlée qu’elle range ses livres de droit au fond de son sac de plage, satisfaite d’avoir exploré les grandes lignes de la politique pénale étrangère du Japon, enfile par-dessus la culotte de son
bikini noir un short blanc et se rend jusqu’à la paillotte de la plage, au bar de laquelle elle s’assied. «
Una piña colada por favor. » commande-t-elle, dans un espagnol avec un accent tout à fait respectable pour une anglaise, ce qui surprend visiblement la serveuse, peu habituée à ce que ses clients fassent même cet effort minimum. Ça fait tellement longtemps qu’elle n’a plus sorti un rond pour ses propres verres qu’elle en oublierait presque comment dépenser… Un petit retour aux sources ne peut pas lui faire de mal, n’est-ce pas ?
© Chieuze