(inachevé) De l'eau pour boire (Elidrea)

La déchéance. La douleur. La souffrance. Toute cette douleur qui m’habite est tout bonnement insupportable. Pourtant j’avais tout pour être heureux. Vraiment. Aaron était l’homme parfait, on avait surpassé bien des épreuves. Des anciens amants pour lui, une suspicion de SIDA pour moi. Et des incompréhensions on en a eu. Pourtant on avait survécu à ça. Le mariage approchait à grand pas, je n’avais jamais été aussi heureux. J’allais me marier avec l’homme de ma vie, comment pourrais-je rêver mieux ?

Mais je sais que je ne supporterais pas une nouvelle perte. Aaron était mon roc, mon ancre. Je ne pourrais pas survivre à une seconde séparation. Je le sais, je lui ai déjà dit. Pourtant aujourd’hui j’ai l’impression que le cauchemar se répète. Je ne pourrais pas m’en relever. Pas une seconde fois. Alors j’ai décidé de me couper de tout alors que je n’ai plus aucune nouvelle. Nada. J’ai téléphoné, je l’ai harcelé de messages. Jamais aucune réponse. Je ne comprends pas pourquoi il m’a abandonné, pourquoi il a disparu ainsi sans aucune nouvelles. Nous étions pourtant bien, on surmontait notre dernière épreuve, rien ne présageait à ce qu’il disparaisse ainsi. J’étais plus qu’inquiet, prêt à retourner la terre entière, mais ça ne servait à rien.

J’ignorais les appels incessant de ma soeur qui devait penser que quelque chose se tramait, elle n’avait pas tort. Mais j’étais incapable de lui répondre. Soit je pleurais comme une madeleine ou quand ce n’était pas le cas, c’est que j’étais complètement ivre. J’avais donné aucunes nouvelles à personne pendant ces dernières semaines, j’avais éteins mon portable pendant quelques jours, je voulais vivre en ermite. Ou dans les bars que je fréquentais jusqu’à leur fermeture, sortant de là passablement ivre.

C’était encore le cas ce soir, alors que j’étais en plein centre, dans un bar dont je ne me rappelle même plus le nom. C’était bientôt la rentrée, et je n’avais rien préparé, à vrai dire je ne sais pas si je la ferais cette rentrée, si même je serais encore de ce monde. Parce que la vie me semble bien douloureuse, et après tout si je dois être seul, autant que ça ne soit pas sur cette terre. J’en étais à mon septième - Huitième ? - verre de Whisky, je commençais à trouver cet alcool pas assez fort. Ce qui me fait grogner. Je recommande un autre verre au serveur qui commence à être récalcitrant. Mais vu le regard que je lui lance, il décide de me resservir. Il vaut mieux pour lui. J’étais irascible et agressif depuis la disparition d’Aaron. Et puis précisons que pour ceux qui me connaissent j’étais devenu méconnaissable : cheveux plus long, barbe non entretenue. En gros j’avais totalement l’air d’un SDF. Manque plus que l’odeur.

J’avais pas craqué du moins pas encore. J’encaissais encore pas mal. Je continuais inexorablement ma descente aux enfers. J’accumulais encore et encore. Jusqu’au jour où cela allait explosé. Et ça allait faire des dégâts. J’en ai conscience mais je ne veux pas y remédier. Au contraire je préfère continuer à m’enfoncer dans les abîmes de l’enfer. Personne ne pouvait faire quelque chose et de toute manière je ne voulais pas de l’aide de qui que ce soit. Et certainement pas de mes amis. Je ne voulais pas les impliquer dans ma descente aux enfers. Et la dernière personne à qui je demanderais de l’aide ce serait probablement Eliakim. Tout simplement parce qu’il vient à peine de sortir d’une période encore moins facile que la mienne. Alors je ne voulais absolument pas l’embêter avec mes problèmes. Il avait déjà bien assez de choses à penser dans sa propre vie pour ne serait-ce que s’intéresser à la mienne. Mais peut-être qu’il avait entendu parler de quelque chose mais je n’en sais strictement rien vu que je ne réponds ni au téléphone ni quand on vient frapper à ma porte. Je n’avais ni la force ni le courage de voir quelqu’un.

J’avais fini par échouer, comme tous les soirs inlassablement, dans un bar. Différent chaque soir, il faut dire que ce n’est pas les bars qui manquent à Oxford, alors je n’avais que l’embarras du choix. Je me rappelle vaguement y être venu avec Eliakim il y a de cela quelques mois, mais tout allait pour le mieux dans ma vie, je venais de retrouver Aaron, et j’avais enfin l’impression de revivre, mais on m’avait de nouveau enlever le souffle qui me tenait en vie. J’enchainais les verres, les uns sur les autres. PAs de répit pour mon estomac. Mais c’est le cadet de mes soucis. La serveuse semble de plus en plus réticente à me servir mais mon regard (de tueur) l’en dissuade de répliquer.

Je suis attablé depuis combien de temps avant que tu me retrouves ? Je n’en sais rien, j’ai perdu la notion du temps. Je ne te regarde pas, je ne t’accorde aucune attention. Je ne voulais voir personne. Et j’ai honte que tu me vois ainsi. Je suis dépravé, je ne dois pas sentir la rose d’autant plus. Je comprend maintenant l’angoisse d’Alice les semaines passées. Je tourne mon verre entre mes doigts avant de le vider d’une traite. Je finis par lever le regard et le tourner vers toi. Mon regard est vitreux suite à ses nombreux verres et aux précédentes soirées de beuveries. De toute manière ce n’est pas comme si je passais toutes mes journées à boire. Je sens ton regard me détaillait, tu ne louperais rien de ma déchéance. Je hausse les épaules. « Tu ne devrais pas être là. » Ma voix est rauque, fatiguée. Je serre mon verre au point que mes jointures blanchissent. « Je fais ce que je veux, me fait pas chier. » Je ne suis pas sympa, mais je ne suis plus moi-même.

J’avais refusé de voir des amis, de me faire aider par eux. Parce qu’ils avaient d’autres choses à penser. Et je n’allais surtout pas m’épancher sur mes problèmes alors que lui en avait eu des plus gros que moi. Il venait à peine de s’en sortir. Je n’allais donc pas l’accabler avec mes propres histoires. Je refusais cela. Personne ne devrait avoir à vivre ce que je vis, ou ce qu’il a vécu. Pourtant le destin nous a maudits. Mais toi tu as eu la chance de finalement retrouvé Alice. Moi Aaron s’est volatilisé. Envolé. Tel l’oiseau libre qu’il est. Je lui en veux de me tuer une seconde fois. Pourtant je ne cesse pas de l’aimer une seul jour. Je devais apprendre à tourner la page. À passer à autre chose. Mais c’est impossible, parce qu’Aaron est l’homme de ma vie, il n’y en aurait pas deux comme lui. Alors oui je n’ai pas d’autres moyens que de me laisser aller. Mon apparence était le reflet de mon âme. À quoi bon soigner son apparence si on n’a plus personne dans sa vie, hein ? Puis ce n’est pas comme si je ne faisais que boire, ou passer la plupart de mes journées dans différents bars, à goûter à toute sorte d’alcool, avant de décuver dans l’appartement dévasté. Tout était le reflet de ma déchéance, de ma perdition. Je sais que tu est passé par là, et j’ai été un des premiers à tenter de lui faire entendre raison. J’aurais peut-être dû m’abstenir quand on voit mon état. Il n’est pas plus glorieux finalement. Je suis une épave, je n’ai même pas repris les chemins de l’université. De toute manière ça ne sert à rien que j’enseigne pour le moment.

Tu es là, maintenant, et tu es la dernière personne que je veux voir. Bon je dis ça à tout le monde en même temps. Ce n’est pas une nouveauté. Alors comme tous ceux qui ont essayé, tu te fais envoyé bouler. Je grogne et lève les yeux au ciel à ta réponse qui ne me convient pas du tout, soit dit en passant. Mais je ne veux même pas te répondre. Je lance un regard noir à la serveuse. Et à toi, tu m’as retardé dans la prise de mon dernier verre. Je serre mon verre avant d’avaler rageusement le fond de on verre. « Je vais surtout pouvoir me casser. » Malheureusement je n’étais pas assez saoul pour m’évader psychiquement. Si tu continues ainsi tu risques d’avoir un beau cocard de ma part. Je ne veux voir personne et surtout pas subir une leçon de morale. « La ferme, je fais ce que je veux de ma putain de vie. Enfin si je peux appeler ça une vie. » Je ne te regarde pas, pour quoi faire ?