(inachevé) Content de te voir (Cat)

Assise sur la terrasse du fameux hôtel-restaurant que j'appréciais tant, je laissais le soleil poser ses rayons chaleureux sur mon visage. Dans une petite robe blanche aux coquelicots Kenzo rouges, je laissais mes bras et mes jambes revivre après la longue période hivernale. Je trouvais ça incroyable à quel point la météo, et sa relation avec cet astre rythmant nos journées, pouvait avoir un tel impact sur notre moral, notre façon de voir les choses, notre façon de régir, notre façon d'être tout simplement. Dès les premiers jours de printemps, dès les premières sorties du soleil, je remarquais que la population oxfordienne changeais radicalement. Ils étaient moins les uns sur les autres, moins stressés, moins énervés les uns contre les autres. A la sortie de l'hiver, on ne se disputait plus pour un rien, on se prenait beaucoup moins la tête. Même moi, ce soleil arrivait à me rendre beaucoup plus sereine. Mes soucis prenaient une teinte plus pâle, moins présente dans mon esprit, plus douce et moins incontrôlable. J'arrivais à me poser un instant et profiter des plaisir de la vie, vie que j'avais tendance à essayer de noyer dans l'alcool, la manipulation et le sexe habituellement. Même les déboires de ma mère et l'absence de mon père étaient moins durs à supporter lorsque je pouvais me prélasser au soleil ou me balader tranquillement au parc avec Andrea, comme s'était prévu cet après-midi.
En effet, après mon voyage plus ou moins soudain, en Europe, je n'avais pas vraiment eu le temps que j'aurais voulu consacrer au jeune homme. Entre les révisions et les examens, je n'ai pas eu le temps de faire autre chose que de rester cloîtrer dans l'appartement ou sur une terrasse peu visitée pour valider mes connaissances et assurer mes chances de réussir mon année. Chose à laquelle je ne doutais absolument pas, mais par laquelle il fallait bien passer. On ne sait jamais. Pour fêter la fin de cette période de reculement et réclusion presque totale, mon frère m'avait offert trois nuits dans cet hôtel que nous aimions tant. Un mélange de luxe et de campagne, un lieu de repos parfait pour reprendre de l'énergie au milieu d'un paysage paradisiaque, le ventre constamment nourrit de mets plus succulents les uns que les autres. Avec les examens, nous n'avions pas non plus réussi à nous voir beaucoup, ce fut là une occasion de se retrouver un peu. Et de me permettre de m'éloigner un peu de maman avant de reprendre le cours normal de mon existence, les soirées uppées à pas d'heure, sans aucune limite. Je venais à ce moment-là de terminer mon dernier repas du séjour, les oiseaux piaillant dans tous les coins, la brise rajoutant une dimension poétique au cadre idyllique dans lequel je me trouvais. Rouvrant les paupières, je jetais un regard au serveur pour lui faire comprendre que j'allais partir. En le voyant s'échapper à l'intérieur pour prévenir les grooms et charger mes affaires dans ma voiture, je me levais avec légèreté. Quelques regards s'arrêtèrent sur moi sous mon passage, mais il n'y avait pas grand monde. Lorsque l'on vient du milieu dans lequel j'évolue et que nos vies sont rythmées par l’excès, il n'est pas rare de préférer les endroits calmes aux endroits surpeuplés, pour faire une pause.
Saluant le directeur de l'hôtel d'une vague bise sur la joue, je claquais mes talons hauts jusqu'au volant de ma nouvelle Morgan crème. J'avais en effet développé une certaine passion pour ces modèles de prestige au style rétro. Un plaisir que je ne me refuse plus.

Arrivée au parc, je coupais la musique et plantais mes lunettes de soleil entre mes cheveux bruns; les arbres ombrageaient assez les chemins, et ainsi, je pourrais apercevoir Andrea plus facilement. Nous avions choisi le parc pour nos retrouvailles. Cela faisait un certain temps que nous n'avions pas pu passer un de nos moments rien qu'à nous, l'un de ceux que deux meilleurs amis passent à échanger des banalités, des confidences, des conseils. Je me souviens de ma rencontre avec Andrea comme si c'était hier. J'avais l'impression que le temps passé à ses côtés avait été bien plus long qu'il ne l'avait été en réalité. J'avais l'impression que nous nous connaissions depuis toujours. C'était l'un des rares hommes avec qui je pouvais me poser et parler sans penser à ce qu'il pouvait avoir derrière la tête. Les hommes et moi, c'est une longue histoire. Le comportement de mon père et celui de ma mère avec ses amants y étant sans doute pour quelque chose, j'ai énormément de mal à côtoyer cette espèce. Mais avec Andrea, c'est différent. J'ai besoin d'Andrea.
C'est là que je l'aperçus, attendant patiemment mon arrivée. Comme une enfant, le sourire aux lèvres, je m'approchais de lui par derrière. Les mains posées délicatement sur son regard, j'attendais malicieusement. Devine qui c'est, mon amour ?. Évidemment, il ne mit pas longtemps à se retourner, à me reconnaitre. Heureuse, je déposais un baiser sur sa joue gauche, claquant mes lèvres à moitié sur sa peau, à moitié dans le vide, afin d'éviter que le rouge vermillon laisse une trace entre les poils de sa barbe naissante. Comment tu vas, Dre? Je suis ravie de te revoir, mon chevelu, ajoutais-je en passant ma main manucurée dans ses cheveux.

Je savais pertinemment que j'étais légèrement en retard. Pas tellement, je n'étais jamais trop en retard, en général bien moins que le quart d'heure de politesse. Mais mes relations, et principalement les rares personnes les plus proches de moi, savaient qu'il pouvait m'arriver, lors de certaines occasions particulières (comme un séjour dans mon hôtel favori), d'avoir un peu de retard. Ce que ne manqua pas de me rappeler Andrea, une adorable moue boudeuse sur le visage. Que je m'empressais de faire disparaître avec mes caresses ! Evidemment, aussi proches que nous étions, nous nous connaissions suffisamment pour savoir nous brosser dans le sens du poil. Il était rare que nos désaccords durent bien longtemps, ou que nous nous disputions. En effet, nos vies s'étaient liées au fil du temps, mais principalement parce que j'avais su être là lorsque le jeune homme eut le plus besoin d'une présence, d'une épaule. Une histoire amoureuse plutôt désastreuse, je me suis très vite juré de ne pas laisser tomber le pauvre Andrea, me promettant en secret de ne jamais le laisser retomber dans une histoire d'où il pourrait mal sortir. Sa peine et sa douleur avait été telle que je n'avais pas pu faire autrement. Notre différence d'âge ne m'avait pas empêché de le prendre sous mon aile à ce niveau là. D'un certain côté, mon amitié et ma complicité avec Andrea, j'en étais désormais totalement dépendante, me sentant utile, capable de soutenir quelqu'un, mais soutenue également. Probablement plus dépendante de lui, que lui de moi. C'est pourquoi j'étais si heureuse de ne pas avoir à compter le temps que j'allais lui accorder aujourd'hui. Une après-midi, une soirée, toute la nuit, nous allions probablement pouvoir rattraper le temps perdu au cours de mon voyage et de mes examens !

Suite à son compliment, je souris, radieuse, tournant sur moi même et ainsi, entraînant le jupon de ma robe blanche dans mon mouvement. C'est gentil, j'ai trouvé ce petit bijou en France, le mois dernier. Tu sais, quand j'y repense, après avoir tâté le terrain, on devrait se le faire ensemble, ce petit tour européen. Deux célibataires comme nous, ça ferait des ravages. Les français sont adorables, et tu ferais tomber tous les espagnols avec tes petits polos qui te vont si bien. Nous n'avions pas encore eu le temps de vraiment aborder le sujet de mon escapade. Et je ne sais pas si je souhaitais vraiment que ça se produise. Après tout, Andrea savait que j'en avais eu besoin, et même si je ne lui avais pas donné énormément de nouvelles durant mon absence, il savait que mes raisons étaient nécessaires, que j'avais eu besoin d'un changement d'air immédiat. Et en reparler remuerait sans doute des souvenirs un peu trop sombres pour cette journée de retrouvailles. Joignant le geste à la parole, en lissant entre mes doigts le col de son tee-shirt, je tapotais au passage ses pectoraux soigneusement entretenus. Andrea était sans doute l'homosexuel le plus classe que je connaissais, et ce n'est pas peu dire; les hommes attirés par les hommes sont souvent une réelle concurrence pour les hommes à femme, par leur goût, leur définition du beau, leur festivité... Bref, j'étais fière de me balader au bras d'un aussi bel homme.
D'ailleurs, j'entamais la petite balade, saisissant ledit bras moulé par la manche du polo. Je n'étais pas très grande, alors même avec mes talons hauts (que je n'échangerais jamais avec des chaussures plates) je n'arrivais pas à la hauteur de mon meilleur ami. Marchant côtes à côtes, je profitais pleinement de ce ressourcement. Autant que lui, j'imagine. Nous aimions tous les deux ces petites balades au soleil, le beau temps aérant autant nos poumons que nos esprits. J'adore ce temps, cette ambiance... Je suis vraiment heureuse d'être avec toi maintenant, Andrea. Désolée pour mon absence, on va vite rattraper ça! Je serrais un peu plus ma main autour de son bras, posant ma tête sur son épaule que j'atteignais tout juste. Les autres promeneurs autour de nous profitaient tout autant. Certains enfants couraient, des personnes âgées flânaient sur un banc. Moi j'avais hâte de savoir ce qu'il s'était passé dans la vie de mon ami durant mon absence, culpabilisant de n'avoir pu y être plus présente. 

J'avais passé tellement de temps aux côtés d'Andrea suite à sa rupture douloureuse avec Aaron, que jamais je n'aurais pensé faire face à une telle nouvelle. Sans savoir véritablement quoi penser, je regardais la bague que me tendais mon ami, bouche bée et yeux écarquillés. Devant une telle déclaration, mes mains qui tenaient encore le col de son polo, tombèrent d'elles-même le long de mon corps. Je n'y croyais pas. Dubitative, je ne savais pas si je devais me réjouir de son bonheur, ou m'effrayer de son erreur. Enfin finalement ... était-ce réellement Aaron, celui étant à l'origine de tout cela? A l'origine de cet anneau, à l'origine de ce sourire, à l'origine de cet engagement et de tout cet amour rayonnant autour du bel Andrea? Sans trop rien dire, je laissais mon étonnement prendre place à une quelconque réponse. Je savais qu'Andrea attendait une réaction de ma part, n'importe quoi, quelque chose digne de notre amitié. Mais je ne pouvais décidément pas lui faire part de mes émotions à l'instant présent. Je n'en étais pas capable, car je ne les considérais pas comme appropriées lorsque l'on se retrouve face à son meilleur ami qui annonce son mariage. Bon sang, pourquoi ne m'avait-il pas appelé pour m'annoncer la nouvelle? Ou un petit SMS, quelque chose à distance me permettant un minimum de mettre de l'ordre dans mes esprits ! Là, je n'étais capable que d'émettre une sorte de "wouaw", espérant de tout cœur que mon étonnement pourrait passer uniquement pour de la surprise (ce qu'il était véritablement, au fond) et non pour de la décontenance.
Afin de camoufler tous ces ressentiments mélangés, je l'emmenais se dégourdir les jambes, essayant de me concentrer sur nos retrouvailles. Alors que je lui avouais mon bonheur de le retrouver, enfin, je ne pouvais m'empêcher de penser à cette alliance qui entourait son doigt, à quelques centimètres de ma main. J'en étais sûre à présent, ça ne pouvait être qu'Aaron. Je le voyais dans son sourire, dans son regard, dans la façon dont il prononçait "mon homme". C'était Aaron, qu'il avait toujours aimé et qu'il ne cesserait jamais d'aimer. Je ne pouvais pas croire que l'amour puisse être aussi fort pour qu'un être se déchire tellement dans une relation, mais continue de ne vivre que pour elle. Aaron avait complètement et délibérément blessé le jeune homme, et je ne lui pardonnerais jamais. Mais qu'Andrea ait pu lui pardonner, ça, je ne pouvais pas le réaliser. Il semblait si sain d'esprit, certes têtu et définitivement romantique, mais je ne le pensais pas aussi dangereux pour lui-même. L'état dans lequel il était il y a pourtant si peu de temps, peu de personne l'avait vu autant que moi. Peu de personnes, et encore moins Aaron qui l'avait si lâchement laissé pourrir dans un coin. J'éprouvais désormais une telle haine envers cet homme, ce bourreau, que j'avais de plus en plus de mal à avaler la nouvelle. Andrea paraissait pourtant si heureux, si comblé...

C'est son petit baiser posé avec amour sur mon front qui me sortis de mes pensées. Sans réellement relever tout de suite sa remarque, je plantais mon regard dans le sien, arrêtant un instant notre promenade. A ce moment-là, je ne savais pas vraiment quoi faire. Devais-je annoncer à mon meilleur amis les quatre coins de mes pensées, ou tout simplement profiter de ce "piédestal" qu'il me proposait avec amusement? Andrea... je t'aime à la folie, tu le sais ça? Hésitante, je peinais à recouvrir toute mon assurance habituelle. J'avais peur de sa réaction, peur de mettre les pieds dans le plat, mais je ne pouvais pas le laisser faire une bêtise, sachant que si c'était arrivé une fois, ça pouvait facilement se reproduire. Tu es mon ami le plus précieux, et je t'assure, je te l'ai déjà dit d'ailleurs, que je veux ton plus grand bien. Je sais bien que ce sont tes histoires, que c'est ton cœur et je sais pertinemment que tu vas me dire que personne ne peut décider à ta place, mais mon Andrea, est-ce que tu es sûr que t'engager avec cet homme là est une bonne chose après ce qu'il t'a fait? Je prenais sur moi pour ne pas traiter Aaron de tous les noms, je savais que ça ferait de la peine à mon meilleur ami, mais je ne pu empêcher une légère grimace déformer ma bouche en le citant. J'avais peur pour Andrea. Je m'inquiétais pour lui, et même si je serais là quoi qu'il arrive, je ferais tout pour lui éviter une seconde peine.

Je me sentais bizarre. De la peur, de la nostalgie, des doutes, j'étais rarement dans un tel état. Alors qu'Andrea m'assurait que l'homme dont nous parlions avait changé, je me mordais la lèvre pour ne pas hurler. Ou pleurer. Je ne voulais pas me disputer avec Andrea, mais j'étais tellement impulsive, tellement franche, tellement sensible ces derniers temps, que je ne pouvais pas ne pas réagir. Bien sûr que, tant que son bonheur durait, je serais la plus heureuse du monde pour lui. Mais mon parcours dans cette vie m'avait appris à me méfier des changements de position, des gens en général, y compris les plus proches de nous. Je savais qu'un retournement de situation était rarement bon, en tout cas je n'en ai jamais connu des favorables. Une personne ne change jamais entièrement. Ce n'est pas possible. On est comme on est, et c'est très difficile de devenir une autre personne. J'en ai de nombreuses preuves. Avec tous les meilleurs efforts du monde, le naturel revient toujours au galop. Et Aaron risque fortement de lui refaire le même genre d'histoires. J'avais peur pour mon ami. Peur qu'il souffre, peur qu'il soit à nouveau blessé, mais peur aussi qu'il m'en veuille, peur de ne pas pouvoir être à la hauteur de ses attentes face à cette nouvelle union, peur de ne pas réussir à être assez heureuse pour lui et de laisser ma méfiance et mes doutes me ronger à sa place. Andrea avait ce don de toujours prendre le bon côté des choses, surtout dans ce genre de situation. Mais j'étais persuadée que ça ne faisait que l'aveugler face à ce qui pouvait arriver.

Son regard était dur, alors qu'il reprenait la marche. J'avais heurté un point sensible de mon meilleur ami. Je le sentais, et je m'en mordais les doigts. Une nouvelle chose à rajouter à la liste de ce à quoi j'étais douée; foirer les retrouvailles. Bravo, Cat, tu peux être fière de toi ma belle. Dre, attends, je ne veux pas qu'on se fâche.. Je le rattrapais en deux cliquetis de talon et pris sa main, une moue déconfite sur le visage. Andrea était le seul avec qui les contacts physiques ne me gênaient pas. Je veux pas qu'on se fâche aujourd'hui, d'accord? Mal à l'aise, je jouais avec son pouce, ne sachant plus vraiment où me mettre, me sentant soudain comme une gamine ayant fait une bêtise. Comme quand j'essayais d'attirer l'attention de mon père et qu'il finissait par me hurler dessus. Décontenancée. Je ne voulais pas te faire de la peine ou te mettre en colère. Tu me connais, je suis comme ça, je fais confiance à mes impressions, mes ressentiments, et sous l'impulsivité, je me sens obligée de le dire... ça ne veux pas dire que je ne suis pas heureuse pour toi, tu sais que je ne souhaite que ton bonheur! Mais après ce qu'il s'est passé entre vous, je pense avoir le droit de ne pas lui faire confiance. Et tu ne devrais pas en être complètement assuré non plus... Je peinais à lui dire le vrai fond de ma pensée. Qu'il se heurterait de plein fouet à un mur lorsque Aaron ferait à nouveau des siennes. Qu'il tomberait bien vite de son petit nuage, j'en étais persuadée. Je le regardais simplement de mes grands yeux bleus, hésitante. Je n'osais pas être plus franche que ça, lui dire clairement ce que je pensais. Bizarrement, et contrairement à d'habitude, j'avais plus peur de sa réaction que de la mienne qui pouvait être assez électrique. Je ne voulais pas le vexer, je ne voulais pas qu'il se sente assailli, mais je voulais tout de même m'assurer qu'il savait vers où il allait, où il mettait les pieds.

Je laissais Andrea s'exprimer, essayer de m'expliquer, de me faire comprendre la situation. Évidemment qu'il était amoureux. Évidemment qu'il ne ferait sa vie qu'avec lui. Alors qu'il essayait tant bien que mal de garder son calme face à mes réactions, je le voyais dans son regard. Andrea Fitzwilliam avait désespérément et incurablement Aaron Evans dans la peau. Il était son homme, son bonheur, son amour, son désespoir, aussi. Il était lui, son âme, son cœur, ses envies, dans un autre corps. Un sentiment qui me paraissait tellement fort, surtout en comptant les évènements qui s'étaient passés, que j'avais peur. Je n'étais pas ce genre de personne, non. Catherine Blackbird marchait sur les autres. Catherine Blackbird écrasait ses concurrents pour conquérir son monde. Catherine n'avait pas peur. C'était les ambitions, les manipulations, l'excès qui rythmaient ma vie. Je n'avais jamais peur. Pourtant, les sentiments que mon meilleur ami, cette personne si chère à mon cœur, ressentait pour cet homme me paraissaient tellement incompréhensibles qu'ils m'effrayaient. L'incompréhension, la colère, l'amour... Je ne comprenais pas comment il pouvait lui pardonner de l'avoir brisé. Je ne comprenais pas qu'on puisse aimer quelqu'un au point de risquer de souffrir. L'amour n'était-il pas beau, un bien-être constant?

C'est alors que je réalisais que je ne connaissais pas l'amour. Ou que ma définition était complètement fausse, alors. Je ne m'étais jamais sentie protégée, heureuse, bien avec un homme. Aucun n'avais partagé mon cœur et mon lit au même moment. Heathcliff exclu... Je n’avais jamais pu vivre ce que vivais Andrea. Je n’avais jamais ressenti ce qu’il ressentait. Et je ne le connaitrais sans doute jamais… Soudain, un certain sentiment de nostalgie m’enveloppa. Oui, tout n’était certainement pas rose, comme il me le précisait, mais il avait cette personne sur qui compter, pour le moment en tout cas. J’avais petit à petit construit ma réputation, mon royaume en quelques sortes. J’avais réussi plus ou moins à me préserver, enfin, de mes parents plus absent l’un que l’autre. J’avais quasiment tout ce dont j’avais toujours rêvé, et était sur la bonne piste pour atteindre le reste. Mais finalement, étais-je heureuse, comme ça ?
Je suis sûre que si vous arrivez à me contrer, moi, vous pourrez aisément venir à bout de sa famille… murmurais-je, légèrement boudeuse, alors qu’il m’embrassait le haut de la tête, protecteur. Je n’aimais pas paraitre faible. Catherine Blackbird avait une prestance qui n’incluait aucune faiblesse, aucune faille. Mais Andrea était mon exception. Je pouvais me laisser aller avec lui.

C’est là qu’il m’annonça « sa bonne nouvelle ». Son témoin, je n’avais pas le choix ? Je le regardais de mes grands yeux bleus. Je n’avais pas l’habitude de recevoir des ordres, même sur le ton de l’humour. Je n’avais pas l’habitude non plus de ne pas aller jusqu’au bout de mes pressentiments, de mes intentions, de ce que je pensais. Aaron ne me plaisait pas. Je me sentais légèrement piégée, entre le bonheur de mon meilleur ami dont il était la cause pour le moment, celui que je risquais d’assombrir par mon entêtement, et mon envie de le protéger de toutes blessures. Je n’avais pas le choix, j’aimais Andrea, profondément. Reprenant mon air confiant, je secouais la tête. Je déteste l’idée que ce spécimen puisse te faire du mal. Mais comment as-tu pu penser que je te laisserai choisir quelqu’un d’autre pour ce merveilleux jour ? Qu'il soit complètement fou, alors. Fou d'amour, fou de bonheur, fou de tout. Pour le moment, je me contenterais d’observer de loin, prête à intervenir à la moindre étincelle. Je n’allais pas accepter cet homme, mais j’accepterais le bonheur temporelle qu’il pourrait offrir à celui qui comptait tant pour moi.