Tu ne peux pas lutter contre les liens du sang.

Aedan ne se sentait pas très bien ce jour-là. Il avait l’impression qu’il n’y avait pas grand-chose qui tournait rond dans sa vie ces derniers temps. Surtout depuis qu’il s’était rendu compte de quelque chose qui le faisait culpabiliser. Cette chose concernait son frère, pas Mischa, mais son autre frère, son demi-frère, Eliakim. Il avait besoin de lui dire des choses, lui avec qui il avait été si désagréable et odieux, qu’il avait insulté de toutes les manières possibles et imaginables, qu’il avait poussé à bout sans raison valable, juste parce qu’il n’arrivait pas à le voir sans même chercher à le connaître. Il avait été immonde avec un membre de sa famille, de sa vraie famille, et désormais, il s’en mordait les doigts.  
Il avait passé la matinée entière à se demander ce qu’il devait faire, s’il devait aller le voir, ou simplement laisser passer, que les choses allaient s’arranger d’elle-même ou que son frère allait enfin comprendre qu’il ne voulait pas de lui dans sa vie. Le problème, c’est qu’Aedan commençait à comprendre qu’il avait besoin de lui dans sa vie. Il était de sa famille, il ne pouvait pas le renier ainsi, parce que, certes, on ne choisit pas sa famille, mais la famille est la seule à toujours être à tes côtés. Enfin, la plupart des familles, mais c’est une autre histoire.
Dans l’après-midi, l’irlandais décida d’aller voir Eliakim après les cours. Il pourrait lui parler, lui dire enfin ce qu’il a dans le cœur depuis plusieurs jours maintenant. C’est ainsi, que dès l’instant où sa journée fut finie, il se dirigea vers le bâtiment où toutes les disciplines étaient pratiquées et demanda où il pouvait trouver Eliakim. En se dirigeant vers la salle que l’on lui avait indiquée, son cœur se mit à battre un peu plus vite, comme lorsqu’il était en pleine crise de stress. Ah, mais c’est parce qu’il stressait en fait, tout simplement. Il n’avait aucune raison de stresser, il s’agissait juste d’un entretien entre frères, rien de plus. Oui, mais avec un frère qu’il avait bafoué et qu’il avait presque renié comme Mischa. Il n’avait pas été tendre avec Eliakim, et c’était vraiment très peu dire. Il lui en avait fait voir de toutes les couleurs, s’en était presque horrible la façon dont il l’avait traité.
Aedan frappa deux fois à la porte avant d’entendre quelqu’un parler à l’intérieur. Déduisant qu’il pouvait entrer, Aedan ouvrit la porte et entra dans la salle, salle où il n’avait jamais été. Ce ne fut que lorsqu’Eliakim leva la tête  et parut surpris de le voir que l’étudiant comprit qu’il ne s’attendait pas à le voir ici. Eliakim le salue et lui demande s’il va bien.

« Ouais, je vais bien. Et toi ? »

Il l’avait d’une façon assez peu habituelle, d’une voix plus aigue qu’à l’accoutumée et qui prouvait le stress qu’il possédait en cet instant. Comment Eliakim allait-il réagir ?

« J’ai appris que tu retournais dans le Riot Club, c’est super. On y est tous les deux en plus, et Bella est chez les Posh. On ne peut pas faire mieux hein ? »

C’était un début de conversation qui était des plus idiots et qui ne ressemblait pas du tout au Aedan habituel. Il était en train de se dégonfler, c’est pour ça qu’il devait aller plus vite pour dire les choses.

« En fait, je venais aussi te parler d’autre chose, si tu as quelques minutes à m’accorder ? »

Il en avait sûrement, à moins qu’il soit à la fin de son travail et qu’il souhaite rentrer chez lui. Alice l’attendait peut-être, ou alors il allait voir des amis. Mais Eliakim était quelqu’un de gentil, il allait rester avec lui, même quelques minutes de plus, juste pour qu’il puisse lui parler, n’est-ce pas ?

La famille, il s’agissait d’une chose importante pour Aedan, enfin, dans certains cas. S’il avait une superbe relation avec Arabella, parce qu’ils se connaissaient avant. Mischa, ce n’était même plus la peine de le citer, parce que rien n’allait, mais vraiment rien. Et puis il y avait Eliakim. Il était désagréable avec lui, il avait cherché, peut-être sans le vouloir, à créer une relation semblable à celle qu’il avait déjà avec son jumeau. Eliakim avait essayé d’être plus proche de lui, et c’était seulement maintenant qu’il s’en rendait compte. Son demi-frère était génial, il avait beaucoup de qualités, bon des défauts aussi, comme tout le monde, mais il était une des rares personnes sur qui il pouvait réellement compter, parce qu’ils étaient de la même famille.
C’était pour cela qu’il avait été voir Eliakim. Il était peut-être temps qu’il arrête d’agir comme un enfant et qu’il affronte ses responsabilités, qu’il assume ses erreurs et qu’il aille enfin voir son frère, pour une fois pour toutes s’excuser et arrêter les gamineries. Eliakim était son frère après tout.
Le professeur lui annonce qu’il va bien. Puis, alors qu’Aedan parle, Eliakim mange un morceau de quelque chose que l’étudiant ne voyait pas. Il en tendit un autre à Aedan, il s’agissait d’une barre chocolatée qu’Aedan prit en remerciant son frère. Et puis, ce dernier éteignit le microscope dans lequel il regardait avant de parler.

« Ouais, une réunion de famille au sommet, ça fait poétique en plus de ça. Et puis si … notre père n’a jamais été accepté, c’est aussi une revanche. »

Aedan avait eu du mal à montrer le lien qui l’unissait à Eliakim. Il avait tellement l’impression qu’il ne s’agissait que d’un rêve que c’était comme si cela n’existait pas. Le père qu’ils avaient en commun, Aedan ne le connaissait pas, s’il ne connaissait pas son existence, il se serait passé la même chose dans sa vie, à quelques points près, sûrement.
Le professeur amène Aedan vers une table, là où ils s’assoient, pour pouvoir discuter en paix, sûrement. Pour une fois, Aedan n’allait pas être agressif, il en avait marre d’être agressif avec les autres.

« Euh … je voulais au moins m’excuser, par rapport à tous ces moments où j’ai été ignoble avec toi. »

Aedan n’osait même plus regarder Eliakim dans les yeux. Sa voix commençait à trembler et sa main également. Il était pathétique ainsi, réellement pathétique et complètement idiot.

Aedan n’avait que très rarement des élans de gentillesse, de culpabilité, ou encore s’excuser envers quelqu’un de telle façon. Mais il avait réalisé qu’il avait besoin de sa famille, tout du moins de sa nouvelle famille. Mischa, c’était encore une autre histoire. Mais Eliakim était là pour lui, alors, pourquoi ne pas en profiter ? Et enfin agir comme deux frères l’un avec l’autre, parce que le plus jeune lui en avait fait voir de toutes les couleurs. Il était peut-être qu’il arrête d’agir comme un enfant, et de prendre ses responsabilités, parce qu’à 24 ans, il était peut-être temps.

« Ce n’est pas vraiment une excuse, j’ai mis des années à m’y faire, mais, au lieu de rester sagement dans mon coin, je t’ai cherché tout ce temps, j’ai été désagréable. Si j’étais toi, je me serais déjà frappé depuis bien longtemps. »

Eliakim l’avait pris dans ces bras. Le cadet ne s’y attendait pas, et un sentiment étrange s’empara de lui. Son frère était proche de lui, un peu trop, et le cœur de son cadet rata juste un instant un battement, coupant brièvement la respiration à Aedan, qui s’efforça de le cacher. Eliakim continuait de sourire, et enchaîna en disant qu’il avait toujours voulu faire cela, agir comme un frère envers eux, Mischa, Bella et lui.

« J’hésiterais pas à t’appeler s’il le faut. Mais ne t’attends pas à recevoir un appel de moi tous les jours hein ! » ajouta-t-il avec une touche d’humour, histoire de détendre l’atmosphère.

Aedan se sentait mal à l’aise. Il se sentait nu. Il n’avait jamais été ainsi à raconter ses sentiments à quelqu’un. C’était même très rare qu’il le fasse, parce qu’il pensait qu’il n’en avait pas besoin. Il pouvait très bien les gérer seuls, ses sentiments.

« Je vais bien ! Mais j’en avais juste besoin, de venir m’excuser. Je me suis remis en question, après mon entrée chez les Riots, et j’ai ressenti le besoin de m’excuser. »

Il allait bien, il n’avait pas de problèmes avec lui-même, il était à peu près épanoui et aimait sa vie ces derniers temps. Son entrée chez les Riots avait juste permis de lui remettre quelques idées en place.

« Pourquoi pas ? Après tout, je ne sais pas grand-chose de lui … à part le fait qu’il était violent. »

Aedan ne savait presque rien de son père après tout. Il n’avait presque jamais entendu parler de lui, peut-être était-ce pour le mieux ?

Eliakim était beaucoup mieux qu’Aedan n’avait imaginé. Beaucoup plus protecteur, beaucoup plus … fraternel. Son frère semblait beaucoup plus se préoccuper de lui que l’irlandais n’avait jamais imaginé. C’était bien, de sentir que quelqu’un d’autre que soi-même se préoccupait de soi. Aedan n’aurait jamais vraiment imaginé avoir une telle relation avec Eliakim, lui qu’il pensait semblable à Mischa. Mais apparemment c’était possible, tout semblait possible avec les Crowlley.

Alors qu’Aedan avait répondu qu’il voulait bien savoir plus de choses sur son père, Eliakim était parti chercher quelque chose dans son sac. Une photo, de lui plus jeune, avec un homme plutôt séduisant et une femme toute aussi jolie. Aedan comprit qu’il s’agissait de lui et de ses parents, et aussitôt, il avait remarqué la distance qu’Eliakim essayait de placer entre lui et son géniteur. D’après ce qu’Eliakim disait, cet homme était sûrement le pire être du monde. Infidèle, hypocrite, faux et complètement méprisable, Aedan l’aurait sûrement déjà détesté s’il l’avait rencontré, mais il avait tellement l’impression d’être comme son géniteur. Dans son esprit, Eliakim avait fait sa description, celle de la personne arrogante et suffisante qu’était Aedan, celle qu’Eliakim venait de décrire, celui qui était responsable du malheur de son fils aîné. « Il doit horrible, à voir au quotidien … » était la seule réponse qu’il réussissait à fournir à son frère. Son père avait l’air horrible, et il ne trouvait pas de mot pour décrire plus fortement l’impression qui en ressortait.
Eliakim avait fini par demander à son frère comme était sa mère. Aedan commença par chercher ses mots avant d’entamer une petite description de sa mère.

« Ma mère est une femme assez courageuse, pour nous avoir élevé Mischa et moi, il en faut du courage, de toute façon. Elle gère un café et nous a élevé avec le peu de paye qu’elle avait, même si elle nous offrait toujours ce qu’on voulait, on ne manquait vraiment de rien avec elle. C’est le genre de femme qui nous apprenait à aimer les autres, et qui nous apprenait à être justes envers eux. J’ai toujours aimé ma mère, même si elle nous a caché pendant longtemps ton existence, et celle de notre père, en nous disant que l’on en avait pas, tout simplement.
Tu sais qu’on a appris par nous même qu’on avait un père, et un demi-frère ? Parce que notre père versait de l’argent tous les mois à ma mère pour qu’on ne crève pas de faim. Maintenant je comprends qu’il s’en foutait pas mal de notre santé, la seule chose qu’il voulait c’était noyer le poisson, et faire en sorte qu’on ne cherche pas vraiment à savoir qui il était, et comment il était.  Mais je n’en veux pas à ma mère pour ça, elle a eu des moments de faiblesse, comme tout le monde. Elle nous aime de tout son cœur, c’est ce qui la rattrape pour moi. »

Sa mère avait toujours voulu que Mischa et Aedan arrêtent de se chercher, vivent de nouveau comme les jumeaux qu’ils étaient avant. Sa mère était géniale, et Aedan savait qu’il avait de la chance de l’avoir.

Eliakim lui avait fait un portrait des plus horribles de son géniteur. Lui qui avait toujours voulu avoir un père, il se surprenait soudain à se mettre à penser qu’il était peut-être mieux sans père et à avoir été élevé par une mère célibataire et qui lui avait permis de se forger un tel caractère. C’était même une chance qu’il ait été élevé par sa mère, avec Mischa. Si Eliakim avait survécu à cela, Aedan était prêt à lui donner tout ce qu’il voulait pour le féliciter, cela semblait pire qu’une épreuve des jeux olympiques, ou qu’un combat à mains nues avec un tigre affamé. Aedan se sentait soudainement mal à l’aise de voir d’avoir agi comme l’enfant pourri gâté qu’il n’était pas parce qu’Eliakim avait eu la chance (enfin la malchance) de vivre avec un père et que lui n’avait pas connu ce plaisir. Mais maintenant, il comprenait qu’il avait eu une meilleure enfance en ayant son père loin qui ne faisant qu’envoyer de l’argent pour qu’ils survivent au moins à l’enfance et qu’ils arrivent à l’âge adulte.

« Tu n’as pas à t’excuser, ce qu’il a fait n’est pas ta faute. Il a choisi de tromper ta mère, d’avoir une relation avec nous, d’avoir Bella d’un autre côté. C’est pas parce que c’est un connard dans la vie que tu dois t’excuser, tu n’en as pas besoin. »

Aedan s’étonna lui-même de réconforter ainsi Eliakim qui semblait vraiment bouleversé par ce que son père pouvait avoir fait aux jumeaux. Mais Aedan le pense réellement, parce qu’il savait que son frère était en fait là pour lui, et qu’il voulait vraiment se racheter envers eux, ce qu’Aedan appréciait plus que tout, qu’il soit aussi gentil, compréhensif, fraternel avec eux. Il avait sûrement eu beaucoup plus d’occasions avec Mischa qu’avec Aedan, mais ce dernier comptait bien lui permettre de jouer son rôle de grand frère beaucoup plus souvent à partir de maintenant, maintenant qu’il avait compris qu’Eliakim était le frère aîné qu’il lui fallait.
Le plus jeune se sentit gêné par la proposition de son frère. Même s’ils avaient du temps à rattraper, il se sentait gêné de laisser le professeur payer son repas. Il n’aimait pas vraiment être au service des autres, même si c’était une attention tout à fait mignonne de la part de son frère.

« Tu n’as pas à faire ça, je peux me payer mon repas tout seul, ne t’inquiètes pas pour cela. »

Il sourit chaleureusement en échange et suivit le professeur hors de la salle, comme deux personnes normales.