INTRIGUE 9 ✗ le diner du Doyen

Amusée, les lèvres de Bree s’étaient étirées en un large sourire carmin lorsqu’elle avait lu l’invitation. Hamilton (le père) avait eu la bonne idée de la convier, parmi une trentaine d’autres élus, ne se doutant pas qu’elle abhorrait tout ce qu’il représentait – en bonne ancienne étudiante de Cambridge qu’elle était. A ses yeux, le Doyen n’était qu’un gâteux en devenir, laissant l’avenir du Royaume-Uni s’affaiblir à présenter des « têtes pistonnées » au lieu de bien pensantes et bien montées. Sa fille, Daisy, était d’ailleurs la cible préférée de la blonde – elle était au centre de nombre de ses mensonges, diffamations et accusations. Elle ne pouvait pas l’encadrer, comme ça, persuadée qu’elle jouait de sa position pour asseoir un pouvoir qu’elle ne détenait pas, s’imaginait reine d’un domaine de suiveurs. Les suiveurs : ces fils et filles de, présomptueux, qui ne cherchaient qu’à claquer l’argent de leur vie. Breeony les exécrait. Breeony les aimait. Breeony s’en servait et absorbait chaque billet ou particules d’or qu’on pouvait bien lui présenter. Loin d’être manipulatrice, pourtant, elle arrivait à entrer dans leur bonne grâce avec un sourire franc et un parler tout aussi direct. L’Ecossaise ne mâchait pas ses mots, les déversait en un flot continu sans prendre de pincette. Et c’était cette vivacité qui les trompait, tous, sans exception. Sans qu’elle ne puisse se l’expliquer, la boursière apparaissait de bonne famille, vêtue d’un ensemble qu’elle ne pouvait s’offrir (mais que Kennocha lui avait gracieusement donné). Kennocha était une de ses plus proches amies, restée sur Cambridge (mais dont le transfert était en cours), croulant sous les lingots d’or de ses parents et généreuse comme pas deux. Un jour, elle avait approché Bree, persuadée qu’elle aussi était une « fille de », l’avait fait entrer dans son cercle, ne l’avait jamais laissé sortir. L’ancienne Cambridgienne, depuis, n’avait jamais réussi à dire la vérité et c’était laissé embourber, fermant derrière tout moyen de sortie.

Allongée sur le ventre dans sa tenue, un ample haut crème sur une jupe dorée moulante, Bree appliquait son vernis alors que son téléphone était en haut parleur. « J’te promet Niall. J’m’étais attendue sauf à ça. Tu t’en rends compte ? » La blonde souffla sur une mèche de cheveux. « J’me dis surtout que tu vas être intenable et exécrable avec tous ses Oxfordiens et … » « Et que, je connais la rengaine, je vais faire honte à Cambridge. T’inquiètes mec, tu vas être fière de moi. J’vais faire voir au vieux qu’on est meilleur. » « Sans te faire prendre et sans abusé. Bree : délicatesse ce soir. » « Pas de soucis abruti. J’t’appelle en rentrant. »

Les talons claquant sur le bitume, l’Ecossaise entrait dans son role sur le trajet voiture – Dining Hall. Trop excitée par l’information, Kennocha avait décidé de faire le chauffeur au volant de sa voiture de luxe, une ABCXYZ123-je-me-la-raconte, à l’affut du moindre ragot. Elle fut largement servie avant que Bree ne l’abandonne a son sort avant de pénétrer dans la cage aux requins, dans ce monde qu’elle connaissait pour l’avoir caresser du bout des doigts. Elle s’arrêta un court instant à l’entrée de la pièce, découvrant la richesse de l’architecture – l’admirant. Ce n’était pas dans ses recherches sur le néolithique qu’elle avait droit a autant de gravure. La blonde continua son chemin, bling-bling de ses boucles d’oreille lui résonnant dans les oreilles, tentant de reconnaitre ceux qu’elle connaissait déjà. James. Christian. Eden ( ? ). Noah. Finalement, pendant les Varsities, la belle avait réussi à s’entourer des bonnes personnes – sans l’avoir vraiment voulu. Et il y avait fort à parier qu’eux aussi la prenait pour ce qu’elle n’était pas : riche et prétentieuse (quoique prétentieuse, elle l’était vis-à-vis de Cambridge). Découvrant le Doyen au fin fond, elle se dirigea en sa direction. « Monsieur le Doyen, ravie de faire votre connaissance. Je suis ravie de constater que vous savez également reconnaitre les anciens de Cambridge à leur juste valeur. » Sans s’en rendre compte, la demoiselle échangea un coup d’œil avec James qui devait reconnaitre le ridicule de ses propos – ca ne lui ressemblait pas. « James. Eden. » Et cette blonde qui avait fait la une de l’Oxymoron, ce journal Oxfordien. « Alice. Ravie de vous voir ici. Veuillez m’excuser. » L’archéologue prit congé pour se rendre en direction du buffet, récupérant une coupe de champagne au passage et un bout de conversation entre Noah et … son frère ? Son grand-frère ? D’un naturel très tactile, Bree ne put s’empêcher de le serrer dans ses bras. « L’ainé qui donne des conseils à son maladroit de frère : mignon ! » Et si elle prenait du salami, au final ?

Breeony était la touche de rock dans une symphonie classique. Breeony était la touche de folie dans un univers supposé sain. Breeony était comme Elmer, l’éléphant bariolé ; elle détonait de par son comportement et sa manière de penser. Mais aujourd’hui, l’Ecossaise tentait de se fondre dans le décor, d’apparaître bien éduquée et bien maniérée, limite BCBG (bon chic bon genre ou beau cul belle gosse – au choix) lâchant des « Excusez-moi », « Veuillez-bien m’excuser » et « Plaît-il ? » à qui voulait bien l’entendre. Posant son regard sur les invités, les scrutant un instant avant de changer de cible, la blonde s’inventait mille histoires. Ou, plutôt, elle tentait de découvrir le « background », leur enfance et leur vie, sans tenir compte de ce qu’elle avait lu dans l’Oxymoron. La belle était étonnée de voir que la plupart des Oxfordiens se connaissaient, se saluaient d’un signe de tête ou d’une poignée de main, discutaient comme s’ils étaient amis. Amis, amis, hypocrisie. Bree’ sentait les faux-semblants à plein nez et s’y complaisait. Téléphone en main, elle photographiait discrètement ce qu’elle voyait avant de l’envoyer à Mischa. Le guitariste de « Dingoes ate my baby » lui textotait rapidement en retour, se foutant autant de sa gueule que de ceux des autres invités. Jusqu’au moment fatidique : celui où Breeony avait capturé Aedan, son jumeau, qui venait de la rejoindre (elle et les autres) au buffet. La blonde n’avait pu s’en empêcher, rigolant intérieurement, affichant un masque de suffisance alors que Noah venait de poser sa main sur son avant-bras. L’archéologue en frissonna, se remémorant leur précédente rencontre. « Bree, ma belle … Si j’étais toi, je ferais attention … Et ce n’est pas un conseil, c’est de la moquerie gratuite, mais je lui ai rendu la pareil. » Faire attention : une phrase qui ne faisait pas partie des annales de la jeune femme. Depuis petite, Breeony faisait ce qui lui plaisait sans penser aux autres ni à son entourage. Pire, même, elle prenait les « fait attention » comme une invitation. Amusée, la blonde échangea un regard avec Noah avant de reporter son attention sur Ethan. Sur son front s’affichait la pancarte du « fruit interdit », grande et lumineuse – bientôt, Bree’ ne put s’en défaire. Oublié le brun ténébreux de la veille, elle était désormais obnubilée par la chevelure cendrée et le regard déconnecté du frère Mills. Elle le voulait.

« Et vous êtes ? » L’archélogue sursauta sur place, lâchant un léger cri dans les airs, quittant du regard sa convoitise pour découvrir un professeur. Roux. La trentaine. Un charisme à faire chavirer son cœur (à ce rythme-là, elle n’allait pas tenir la soirée) ; elle reconnaissait le professeur Crowlley qui, dans toute son autosuffisance, avait décidé de s’appeler « sexyteacher » sur Instagram. Elle en vomissait, se souvenait de leur échange sur l’Oxymoron (alors qu’elle défendait l’honneur de Cambridge), le regarda de toute sa hauteur. « Breeony Walsh, fraichement transférée », archéologue en herbe, chanteuse d’un groupe de rock et capitaine de l’équipe de soccer les Furies. Rien que ça. Pinçant les lèvres, la blonde esquissa un léger sourire avant de prendre le large – de plus en plus de personnes venaient se convier à leur groupe. Deux claquements de mains pour attirer l’attention lui fait relever la tête, l’arrête dans sa fuite. « Très chers invités, je vous invite à prendre place pour commencer le dîner. » Soit. Une dernière fois, l’Ecossaise jette un œil à son téléphone portable avant de le mettre en silencieux.

Le doyen prit place en bout de table, majestueux, tandis que la blonde s’approchait de la table. Qu’est-ce qu’elle était venue faire ici, se demandait-elle, encore peu familière avec les coutumes d’Oxford. De Cambridge, elle avait récolté quelques manières, répétées inlassablement par Kennocha (qui les lui avait rappelées dans la voiture) mais jamais (jamais !) elle n’avait eu à les mettre en pratique. Si seulement elle lui avait aussi donné quelques informations à propos des cérémonies Oxfordiennes… Anthropologue en plus d’être archéologue de formation – la demoiselle n’arrivait pas à distinguer les deux – Bree observait. Dans un premier temps, elle avait observé passivement pour mieux nourrir ses mensonges. A présent, elle absorbait les informations. Adoptant pour une stratégie mimétique, elle ne quittait pas du regard Noah de l’autre côté de la table, restant debout derrière sa chaise, les mains sur le dossier. Bougeant les lèvres sans qu’aucun son n’en sorte (elle avait oublié les grâces d’oxford), elle réussit à imiter parfaitement la bénédiction. « Benedictus, benedicat per jesum christum dominum nostrum » « Que celui qui est béni bénisse cette nourriture par Jésus-Christ Notre-Seigneur », traduit-elle rapidement dans sa tête, avant quelques notions de latin (études d’archéologie obligent). Bien que non pratiquante (et si peu croyante), Bree’ ne put s’empêcher d’ajouter un « Amen » solennel avant de finalement s’asseoir. Pour la première fois, elle osa jeter un coup d’œil à un de ses voisins, reconnaissant Yani. Le Yani des Varsities auquel elle adressa un large sourire. « Mirigian. Quel plaisir de te revoir ici. Merci énormément pour ce combat. Heureusement,  à présent, nous sommes dans la même équipe. A égalité ? » l’interrogea-t-elle en lui tendant la main.

Ravie d’avoir une nouvelle cible, elle reporta son attention à la nourriture présentée devant elle. Il lui tardait de découvrir les mets mais ne voulait pas débuter avant la Doyen Hamilton. Pour le moment, elle ne se concentrait que sur une chose : les couverts. Kennocha lui avait dit de toujours débuter par l’extérieur. Et après les couverts, c’était Ethan qui était devenu le centre de son attention.